La légende de la montagne : Esprits fantômes

Toujours prompt à nous ressortir en Blu-ray des films de patrimoine permettant la (re)découverte d’un cinéaste, Carlotta poursuit son exploration de la filmographie de King Hu avec La légende de la montagne, disponible en DVD et Blu-ray depuis le 9 mai dernier. En 2016 déjà, l’éditeur nous avait offert Dragon Inn et A Touch of Zen en vidéo après les avoir ressorti en salles en 2015. Et si La légende de la montagne ne bénéficie pas d’une ressortie en salles (ce qui est d’ailleurs fort dommage), ce serait du gâchis que de ne pas profiter de l’occasion pour le découvrir grâce à une superbe copie Blu-ray de sa version intégrale (il existe une version de deux heures du film) et restaurée en 4K.

Avec La légende de la montagne, King Hu délaisse le Wu Xia Piang qui l’a fait connaître pour orienter son récit (écrit par sa femme Chung Ling) vers le surnaturel. Ici, il est question d’un canon bouddhiste permettant de libérer les âmes des défunts et de les contrôler. He Yun-Tsing est chargé par un monastère de recopier ce canon. Pour cela, Yun-Tsing se rend dans un endroit isolé en pleine montagne. Il y fait la connaissance d’étranges personnages notamment deux femmes fort charmantes qui semblent avoir des intentions différentes à son égard. L’une d’elle va jusqu’à l’attirer dans ses griffes mais il s’avère que le canon bouddhiste génère plus de convoitise que le pauvre Yun-Tsing. Celui-ci, rapidement perdu, va avoir du mal à réaliser le conflit au cœur duquel il se retrouve, finissant carrément par devenir personnage secondaire en plein milieu du film.

Il faut dire que La légende de la montagne est vaste. D’une durée de 3h12, le film donne à King Hu l’occasion d’établir une nouvelle la toute puissance de sa mise en scène. Se frottant au surnaturel avec la véritable envie de faire ressentir au spectateur ce qui ne peut être expliqué, le cinéaste embrasse le monde des esprits avec un sérieux parfaitement admirable sans pour autant être dénué d’ironie quand il contemple les mésaventures de son héros, succombant au charme de la sublime Hsu Feng pour mieux être manipulé ensuite. S’intéressant aux fantômes et aux lois mystiques régissant le bouddhisme, King Hu utilise à merveille les décors qu’il a à sa disposition pour nous faire comprendre combien les esprits sont proches de nous, influant sur le présent avec plus de force qu’on ne veut bien le croire.

Filmé dans des décors naturels absolument sublimes (et en Corée du Sud, là où Hu a eu toute la liberté de faire son film, le tournant en même temps que Raining in the mountain), La légende de la montagne utilise abondamment toute la science de la mise en scène de son réalisateur, diablement inventif. Selon les besoins de la scène, Hu fait voltiger sa caméra, multiplie les plans et accélère le rythme ou alors il fait tout le contraire en proposant de longs plans permettant de se plonger dans l’action avec une autre force. Il fait de même avec les décors, tantôt il sublime les paysages tantôt il les mâtine d’un ciel jaune totalement irréaliste. Artiste accompli, Hu semble n’avoir aucune limite même s’il tombe dans son travers le plus récurrent : sa façon de faire durer certaines séquences de façon interminable. Ici, il n’y a guère de combats d’épées et peu de voltiges. Les combats entre humains et esprits se jouent au tambour mystique et aux fumées colorées explosant de partout. Une convention vite établie dans le film et reprise à travers plusieurs séquences assez longues, capables de vous filer un sacré mal de crâne tant les combats de tambour aux pouvoirs illimités s’inscrivent dans la durée.

Ceci dit, La légende de la montagne se regarde étonnamment bien en dépit de sa longueur. On craignait quelques errances comme Dragon Inn le faisait. Au contraire, La légende de la montagne relance sans cesse ses enjeux, se permettant même quelques flash-backs au cœur de son récit afin de mieux lui donner de l’ampleur. Le résultat, s’il est parfois troublant dans sa narration, n’en demeure pas moins un superbe film qu’il faudra revoir à plusieurs reprises pour mieux en saisir toute la beauté et toutes les nuances. La première vision, quant à elle, laisse entrevoir une inventivité dans le genre rarement égalée, si ce n’est peut-être par Tsui Hark.

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