La Casa de Papel : le plan était presque parfait

D’abord disponible en Espagne en 2017 sur la chaîne Antena 3, La Casa de Papel gagna ses lettres de noblesses à l’international grâce à sa distribution sur Netflix. Avec au passage un recalibrage formel des épisodes, qui passent d’un format 70 minutes au standard épisodique de 50 minutes, probablement considéré plus digeste pour la plateforme, soit 22 épisodes à la place des 15 d’origine. La hype autour de la série a pris comme un feu de paille, au point qu’une saison 3 serait en chantier, chose qui peut étonner lorsque l’on connaît la conclusion de cette deuxième saison. Mais alors, le battage médiatique qui s’empare aujourd’hui arbitrairement de telle ou telle série est-il ici mérité, ou résulte-t-il simplement de l’atypisme de la série dû à son parcours qui agirait comme un trompe-l’œil ?

Dès le premier épisode, le décor, l’ambiance et surtout le rythme sont plantés. On nous ouvre l’appétit sur ce qui promet d’être un copieux buffet : un groupe de rebuts de la société, tous doués dans un domaine (faussaire, voleur etc…) sont recrutés et menés par le mystérieux et charismatique « Professeur » pour organiser le casse du siècle. Il n’en faut pas plus au show pour se lancer, avec cette introduction qui nous rappelle de loin Reservoir Dogs. Les ingrédients sont nombreux : armes lourdes, masques de Dali (!), personnages variés et plan machiavélique pour cette préparation qui ne demande qu’à exploser. Le tout alternant entre le huis clos au cœur même de la Fabrique Nationale de la Monnaie et du Timbre à Madrid, et l’extérieur, d’où le Professeur commandite le crime et rattrape les erreurs. Puisque évidemment, tout ne va pas se passer comme prévu…

Ce qui fait avant tout le charme de la petite bande et surtout du Professeur, véritable pivot de la série, c’est leur capacité à s’adapter aux accrochages que le « plan parfait » va rencontrer. Si celui-ci  témoigne de l’ingéniosité de son créateur, qui semble avoir de prime abord tout planifié, chaque imprévu va déclencher de (trop ?) nombreuses situations au suspense variable, mais toujours un minimum efficace. On retrouve donc une formule pleine de cliffhangers, qui ne nous fait que rarement faux bond, si ce n’est pour certaines résolutions que l’on pourrait qualifier de faciles. Les scénaristes semblent néanmoins avoir conscience de cet « abus », lorsque Professeur ne manque pas de souligner à plusieurs reprises : « je suis un homme chanceux ». Et la chance a en effet son rôle à jouer dans ce foisonnement de situations alambiquées, qui restent tout de même crédibles pour la majorité (dans un cadre aussi extraordinaire). Les chausse-trappes sont parfois évités et expédiés alors que d’autres sont là pour rester, comme autant d’épées de Damoclès flottant en permanence au-dessus des héros. Cette variation permet de cumuler bon nombre d’intrigues, mais si la multiplicité des tensions manque (de justesse) de gaver le spectateur, c’est que La Casa de Papel a su y juxtaposer d’autres enjeux.

Au bon déroulement du plan, s’ajoutent la dynamique du groupe des braqueurs et les relations qu’ils tissent entre eux, avec les otages ou encore avec la police lorsque le professeur joue au chat et la souris avec la négociatrice Raquel Murillo. Le facteur humain viendra ainsi perturber les événements programmés, avec les frictions que rencontreront certaines fortes personnalités entre elles. Histoires d’amour naissantes ou existantes, relation filiale, commandement discutable, chacune des situations nous force à prendre parti et à choisir notre petit préféré. Certains attirent malgré tout le feu des projecteurs vers eux de par leur complexité, comme Berlin, le leader du groupe sur le terrain, aussi charismatique qu’ambigu. On déplore alors le manque d’exposition ou d’exploitation de certains personnages au potentiel gâché, qui ont la mention « second couteau » gravée sur le front de manière tellement évidente, qu’on ne peut que rester de marbre lorsqu’ils passent l’arme à gauche. Un effet dramatique trop contrôlé pour vraiment nous toucher. On peut être intrigué, mais rarement stressé. On s’inquiète finalement assez peu pour les personnages : même lorsque ceux-ci sont éprouvés par les événements, le spectateur reste intimement convaincu que la solution n’est pas loin. On finit malgré tout par se laisser porter par le courant, agréable, bien calibré avec ses quelques remous qui ne nous renversent jamais.

Il y a dans la construction de La Casa de Papel quelque chose de classique, bien dissimulé derrière ses nombreux artifices. Loin d’être une tare, cette forme lui permet de  poser des bases solides et de nous happer via son départ prometteur. Mais, sans s’essouffler, la série peine à se renouveler de manière formelle : si la méthode pour se tirer d’un mauvais pas reste un mystère, l’issue de ce dernier peine à surprendre à mesure qu’on avance. Le rythme insufflé par le montage parvient néanmoins à soutenir avec vigueur l’action, en alternant parfois entre plusieurs intrigues. On nous fait ingérer bon nombre d’éléments en une séquence pour mieux nous convaincre, nous distraire de ces répétitions. Et il faut dire que ça fonctionne de manière générale, en partie grâce au format court de la série. Et bien que la machine s’emballe à l’approche du final, elle retombe sur ses pattes à la manière d’un Soderbergh (difficile de l’éviter quand on traite les braquages à l’écran).

Sauvé de son modèle répétitif par sa richesse, le succès de La Casa de Papel, s’il semble démesuré, n’est pas illégitime. Celui-ci pourrait avoir un effet positif sur la production européenne de genre et sur ses standards d’exigence. On lui pardonne alors aisément ses lacunes et ses quelques questions laissées en suspens. Ce qui ne semble pas être de l’avis de tous, au vu de l’annonce d’une nouvelle saison, malgré une écriture faite pour se clore après les 2 premières. Espérons que la rançon de la gloire ne soit pas trop chère payée pour notre bande de braqueurs. Le Professeur avait, en bon scénariste qu’il est, tout mis en œuvre pour s’attirer la sympathie du téléspectateur, chose réussie… jusque-là.

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