Huit heures ne font pas un jour : 45 ans et toujours d’actualité

Huit heures ne font pas un jour est un téléfilm en 5 parties réalisé par Rainer Werner Fassbinder, grand cinéaste allemand des années 60 dont le distributeur Carlotta se charge de ressortir tout un pan de sa filmographie. Habitué à un cinéma très singulier traitant assez régulièrement des questions d’identité sexuelle, raciale ou encore des déboires et injustices quotidiennes des familles modestes. Allant des violences conjugales aux soumissions hiérarchiques, on ressent chez Fassbinder une atmosphère toujours assez pesante et oppressante. Alors quand il se charge de mettre en avant la classe ouvrière avec un certain humour très sobre et néanmoins sincère, on découvre une toute autre facette du réalisateur. Beaucoup plus abordable, bien plus intemporelle et nettement plus vivante.

Huit heures ne font pas un jour traite habilement du quotidien des ouvriers et des familles modestes. Chaque épisode suivant un duo de personnes (souvent un couple), on peut y voir l’évolution d’une famille entière aussi bien dans leur vie professionnelle, personnelle et amoureuse. Jochen et Marion dévoile la confrontation entre la classe modeste et la société considérée comme plus intellectuel. Jochen est ouvrier et rencontre Marion, rédactrice au sein d’un journal, dont il s’éprend rapidement. Au cours de leurs péripéties nous verrons d’un côté des ouvriers assez rustres qui se fichent bien de connaître la classe sociale dont fait partie la copine de Jochen, et de l’autre une éducation plus relevée qui accepte difficilement qu’une femme comme Marion s’abaisse à sortir avec un « pauvre ». De leur côté, un épisode comme Franz et Ernst montre l’opposition entre le patronat et la classe salariale. D’un côté le patronat agissant selon des codes méritocratiques, c’est la dureté et le temps de travail qui détermine le salaire des employés. Et de l’autre les employés, au cœur du terrain, qui ne sont pas plus bêtes que leurs supérieurs hiérarchique mais sont confrontés au quotidien aux problèmes qui les incombe et ont donc diverses pistes viables pour y pallier. L’épisode de Grand-mère et Gregor traite donc cette population trop souvent délaissée par la société, à savoir les enfants et les doyens. Les uns n’ayant de centre d’activité adéquat et errant dans les rues face à sa dangerosité et les autres cherchant désespérément des activités ou des foyers à leur portée. Un épisode comme Harald et Monika quant à lui montrera avec beaucoup plus de sévérité les réels inconvénients ou abus de pouvoir du patriarcat. Comment la femme est considérée dans un couple, de quel œil est perçu un divorce, le manque d’équité entre les sexes etc…

Dans un premier temps, il est tout à fait remarquable de noter que pour une série qui a maintenant 45 ans, elle reste non seulement parfaitement dans l’ère du temps, mais en plus a très bien vieilli. Certes les styles vestimentaires et coiffures ont nettement changé, mais les avantages sociaux et autres mentalités d’entreprise n’ont quasiment pas évolué, voire même ont régressé. Sur ce point, par ailleurs, malgré quelques mystères inhérents à la place de chaque personnage, le fond et le thème de l’histoire sont étonnement clairs et limpides. Fassbinder parvient à expliquer des rouages et des situations habituellement relativement complexes de différentes strates sociales avec une fluidité presque poétique. En effet de grands sujets moraux, des fois tabous, sont développé dans cette production et leur résolution se fait de manière quasi enfantine. Aujourd’hui, du moins en France, on en est venu à souvent vouloir museler les propos de ceux qui vont à l’encontre de nos pensées, à ne jamais vouloir dire clairement les choses et toujours les contourner. Huit Heures ne font pas un jour nous réapprend presque à demander les choses simplement, et Jochen l’apprend à ses dépens.

L’une des raisons pour lesquelles l’histoire et ses enjeux fonctionnent aussi se trouve dans la simplicité et le charisme de ses personnages. Jochen a beau avoir un nez de travers, son aura de sympathie est si puissante qu’on voudrait presque l’avoir comme cousin. Franz a beau ressembler à Régis Laspalès, on s’attache rapidement à lui tant il devient « comme tout le monde ». Monika est si jolie qu’on enrage de la voir souffrir de sa situation. Et Grand-mère est si épique que jalouse de ne pas avoir la même bien qu’on aime tous la nôtre si fort que jamais on ne voudrait la remplacer. Les acteurs participent beaucoup à la qualité de la série car ils attirent, ils rassemblent, on souhaite les écouter, les suivre, les aider. On apprécie de vivre avec eux leurs soucis et de les comprendre. On se sent rapidement plus investit par ce que l’on regarde et c’est certainement l’aura des acteurs qui rend cette production si intemporelle et agréable à regarder même 45 ans après. Par ailleurs, Fassbinder transmet son message à travers un humour qui ne lui ai pas si habituel. Ce métrage télévisuel n’est pas vraiment à but humoristique, mais l’assemblage de quelques répliques bien senties, de situations inattendues et de caractères toujours empathique des personnages est l’alchimie qui le rend si agréable et intéressant à suivre.

Pour appuyer son propos par ailleurs, on doit noter la grande maîtrise du réalisateur à bien placer sa caméra et à savoir comment gérer sa mise en scène. Le zoom façon western est une pratique assez fréquente dans le cinéma de Fassbinder, mais c’est très bien maîtrisé ici. On pourrait presque se dire que si Wes Anderson avait un grand-père cinéaste, ce serait Fassbinder. Avec des moyens bien moindre que aujourd’hui, le réalisateur parvient à trouver de très belles symétries et des plans tout à fait imposants. Jouant sans cesse avec son décor en alternant successivement des plans fixes qui découpent les situations en plusieurs segments et les travelings allant facilement d’une pièce à une autre avec une aisance déconcertante pour un déplacement de caméra. Cette mécanique s’adapte parfaitement à l’imbrication entre les relations des différents personnages qui amènent le spectateur à suivre une histoire puis une autre avant de revenir sur la première et d’enchaîner sur une troisième en simplement quelques minutes. Cette série télévisuelle reste en mémoire tant sur le fond que sur la forme.

Ce que l’on doit retenir de cette œuvre de Fassbinder, malgré peut-être un propos traité de manière assez simpliste avec un certain recul, c’est surtout qu’il reste grandement d’actualité. Non seulement pour un film en plusieurs épisodes de son époque, il se dévore sans la moindre difficulté. Aux réticents du cinéma des années 70’ donc, cela se regarde sans le moindre souci. De plus il s’agit probablement de l’une des œuvres les plus abordables du cinéaste. Son cinéma étant globalement très particulier, si l’on souhaite s’y plonger sans prendre de risque, Huit heures ne font pas un jour en est la parfaite introduction.

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