NICO, 1988 : une femme dans le crépuscule de l’univers d’une star

Susanna Nicchiarelli se concentre sur les trois dernières années de la vie de Christa Päffgen, dont le nom de scène est Nico. Mais ce n’est pas Nico qui importe, c’est bien Christa Päffgen. Comme elle-même le dit à l’un de ses amis dans le film : « Pourquoi tu m’appeles Nico ? Appelle moi Christa« . Ou même lorsqu’elle sort à un journaliste : « ma carrière a commencé après mon expérience avec le Velvet Underground« . Le film ne contient pas beaucoup de scènes musicales et/ou chantées. La figure de Nico plane au-dessus du film. Encore mieux, elle plane au-dessus de Christa Päffgen. Parce que Susanna Nicchiarelli met davantage en scène la femme qui se cache derrière Nico, la femme de la vie privée. Alors que tout le monde connaît davantage l’artiste, NICO, 1988 est un film dont le titre est à double interprétation. Le nom de Nico pour garder en tête la référence, et surtout 1988 pour bien spécifier que c’est la fin (ce qui rend le sujet plus humain).

En évoquant un sujet aussi humain, aussi intime, Susanna Nicchiarelli ne réalise pas un biopic. Le film en est même loin, puisqu’il ne raconte pas grand chose sur la carrière et sur la vie passée de l’icône des années 1960. Le choix de Trine Dyrholm n’est alors pas anodin, puisqu’il permet au film d’acquérir une énergie folle (l’actrice principale est elle-même chanteuse, mais aussi actrice récemment vue dans LA COMMUNAUTÉ et dans FESTEN) et une vitalité dans le caractère intime de la protagoniste. Le film joue perpétuellement entre le mythe et la réalité. Là où le physique de Christa Päffgen est synoyme de liberté (une contre-image de la beauté pour laquelle était reconnue Nico), la voix et le caractère de Nico sont toujours présents. Sauf que Nico n’est plus qu’un mythe, et que Christa Päffgen est la personnalité qui contient des blessures. A la fois dans la mise en scène qui alterne Christa Päffgen et Nico, et dans l’interprétation sublime de Trine Dyrholm, il y a l’errance et la déambulation infinie : celle de l’esprit d’une star, et celle de l’âme d’une femme. Les deux convergent parfaitement vers le même point : la sensation que quelque chose n’est pas terminé (la vie privée d’une femme célibataire, d’une mère qui retrouve son fils et la recherche éternelle de reconnaissance d’une artiste).

NICO, 1988 est aussi un road movie, celui qui fait référence aux tournées bricolées des artistes du rock des années 1960 et 1970. Comme si la protagoniste veut continuer à vivre dans la belle époque du rock. Sauf que le film se déroule entre 1986 et 1988, et ce n’est plus d’actualité. Cela donne alors un côté absurde, ironique et pathétique (dans le bon sens) au film. Avec des comportements souvent impulsifs, le ton est assez électrisant. Il s’agit ici d’opposer la rigueur de la performance (le choix des chansons, même quand la protagoniste refuse d’être surnommée « femme fatale », comme le titre qu’elle a chanté avec le Velvet Underground) et les moyens bricolés d’apporter l’art au public. Exemple parfait : la séquence folle de concert clandestin à Prague, vite stoppé par les forces de l’ordre locaux. Le plus important est tout de même l’effet absurde de cette tournée, où absolument tout est détourné dans un esprit anachronique, mais sans plonger dans le comique. Alors que le road trip est composé de nombreux contre-temps et formé sur une idéalisation artistique (telle la réservation d’hôtel qui a du retard), il y a également une façon d’être hors du temps – là où cette tournée semble venir du passé et ne pas correspondre aux méthodes contemporaines.

Malgré l’absurdité, l’ironie et l’anachronisme sympathique, NICO, 1988 peint tout de même un univers rock très désespéré mais évidemment jubilatoire. Dans un style de cadre carré et une image aux lumières flashantes, il y a un clin d’oeil aux années 1980. Tandis que l’ambiance et la manière de vivre le rock est un clin d’oeil aux années 1960-1970. Ce mélange des références et des formes est idéal, parce qu’il laisse apparaître les sensations pures et les émotions explicites. Ce mélange est donc un moyen de remettre l’univers de Nico sur le devant de la scène, de lui apporter une reconnaissance qu’elle cherchait. Mais surtout, cette forme permet d’apporter toute l’empathie pour le personnage de femme derrière la star, tout en lui accordant la justesse d’être enfin Christa Päffgen. La photographie se caractérise aussi par son intention de fonctionner comme une hallucination éphémère. On comprend alors la collaboration avec la géniale Crystel Fournier (la directrice photo de Céline Sciamma, qui a mis en lumière et en couleurs notamment BANDE DE FILLES, TOMBOY et NAISSANCE DES PIEUVRES), qui offre au personnage de Nico/Christa la possibilité de vivre sa libération, de rêver d’une belle fin de vie.

Il faut ajouter, à cette magnifique photographie, l’art de cadrer de Susanna Nicchiarelli. NICO, 1988 capte ses personnages entre deux époques : celle d’un rock maladroit et absurde, et celle d’une libération intime. Nico et son art paraissent trop vieille et trop vieux pour l’année précise du récit. Cependant, il y a la persévérance de Christa. Sauf que ce n’est pas la première fois que Christa est confrontée à un changement d’époque : il y a ces quelques scènes fabuleuses où Christa enfant doit vivre dans un pays rongé et détruit par la Seconde Guerre Mondiale. Susanna Nicchiarelli exprime cette rupture avec sa caméra, où le cadre emprisonne constamment ses personnages dans leur époque révolue. Ils sont coincés dans leur univers rock, alors que l’environnement hors-champ et les arrières-plans flous sont déjà passés à autre chose. Voilà ce qu’est NICO, 1988 : un film crépusculaire qui se raconte et se regarde comme un testament poétique, où la fin de la célébrité n’est pas une tragédie mais une marque de libération.

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