NICO 1988 : rencontre avec Susanna Nicchiarelli, réalisatrice du film.

Je suis un fan de films d’époques et films historiques, même les films d’adaptation, et je pense qu’il faut toujours prendre de la liberté. Parce que sinon, avec un traitement trop didactique qui ne serait qu’un copier-coller, il n’y a plus vraiment de style personnel. Notamment, on remarque dès le début la non-ressemblance. Mais quand les images d’archives apparaissent, on y trouve tout de même un petit air, sans pour autant que ce soit concret.


Susanna Nicchiarelli :
Moi aussi je le pense. C’est exactement ça. J’adore aussi ce genre de films. Mais à chaque fois les biopic me déçoivent parce qu’ils sont toujours coincé dans l’imitation. Et les acteurs sont coincés aussi. C’est pour ça finalement que j’ai choisi une actrice qui ne ressemblait pas à Nico. Je pensais que, comme cela, l’actrice serait plus libre. Mais je voulais utiliser l’icône artiste Nico, d’où les images d’archives. Et quand on met à côté les deux têtes, c’est comme si elle se ressemblait. Alors qu’elles sont hyper différentes.

Pourquoi avoir choisi Nico en particulier ?


S.N. :
Parce que Nico me permettait de faire le biopic différemment. Sa vie était très compliqué, donc ça me permettait de renverser les clichés. Au lieu de faire une histoire qui commençait par le succès, puis la chute, la vie de Nico permet de raconter exactement le contraire. C’est après sa célébrité que sa vie est plus intéressante. C’est donc différent des biopic plus classiques, où l’insuccès et la perte de la célébrité est toujours vécu comme une tragédie. Tandis que pour Nico, c’était davantage une libération.

Il y a une réplique dans le film qui résume bien cela : « ma carrière a commencé après mon expérience avec le Velvet Underground ».


S.N. :
C’est une vraie parole de Nico, provenant d’une vraie interview. C’est aussi ça qui m’a conquis de Nico : son ironie, sa façon de traiter les journalistes qui insistaient sur son passé. Par exemple, il y a un journaliste qui lui disait « les années 60, ça devait être la meilleure période de ta vie », extrait que j’ai placé dans le film. Vous vous imaginez la violence d’une telle question ? Sa réponse, que je trouve géniale, m’a fait tomber amoureuse de Nico. Son ironie, son détachement étaient très intéressants ; j’ai essayé de le mettre dans le ton du film.

C’est à la fois un film sur Nico mais aussi sur Christa, la femme derrière Nico. Est-ce un film sur les femmes en général, ou un film plus large sur l’humain ?


S.N. :
Je préfère penser que c’est un film sur l’être humain en général. Sur la complexité de la vie en général, et sur le rapport avec le temps. Les biopic sont aussi souvent cruels avec les hommes. Même les biopic sur des rockstar sont très cruels avec leurs personnages. Cette dichotomie entre succès et échec, comme s’il n’y avait rien au milieu. Dans le film, quand Nico est dans la cuisine, elle dit « j’ai été au top et au fond, et les deux endroits sont vides ». Je crois que la vie est au milieu des deux. Mais, souvent dans les biopic, on oublie ça. On oublie que la vie d’un artiste ne se joue pas uniquement entre le succès et l’insuccès. Souvent, ça se joue sur une recherche artistique, que Nico faisait et qui était très courageuse. Elle ne se préoccupait pas de la commercialité de ce qu’elle faisait. Il y a une chose qui été lié au fait qu’elle était une femme, mais aussi au fait qu’elle était mannequin. C’est qu’elle était très connue par sa beauté, et c’est comme si les gens ont lié à sa beauté le succès de Nico, sans vouloir percevoir ce qu’il y avait après. Mais Nico s’est libérée de la beauté, qui était un obstacle.

Le film n’est pas vraiment un biopic, ou alors on parlerait de « biopic partiel », car il sort des schémas habituels. Le film est dans le juste milieu.


S.N. :
Par exemple, j’ai beaucoup aimé LAST DAYS de Gus Van Sant et STEVE JOBS de Danny Boyle. Je crois que ce sont toujours des biopic. La différence, c’est que ceux qui fonctionnent sont ceux qui font un choix. Parce que, si tu veux tout raconter, la structure est toujours la même. Comme dans STEVE JOBS, il choisit trois moments de la vie de Steve Jobs, et puis il s’en va, il le laisse. J’aime bien, cela.

Ce qui fonctionne également dans les films d’époques. Quand il est davantage question de l’intimité, d’un instant précis, plutôt que de vouloir étirer le contexte historique.


S.N. :
Tout à fait.

Comment avez-vous réussi à garder la bonne distance et préserver l’authenticité de Christa & Nico sans en faire un biopic traditionnel ?


S.N. :
Dans l’écriture déjà, j’avais décidé de faire seulement les dernières années. J’avais décidé d’utiliser le ton que j’avais vu dans les interviews de Nico, d’utiliser cette légèreté et cette ironie. Et de procéder sans réelle structure, pour faire ma propre structure. J’ai utilisé les chansons, et pour chaque chanson, j’ai trouvé un épisode (de la vie de Nico). Mais bien sûr, il y a une évolution dans le personnage, avec beaucoup de choses qui se produisent dans ces dernières années de sa vie. Surtout qu’elle arrête la drogue, qu’elle reprenne les rapports avec son fils. Et donc, il y a bien sûr un peu de structure et de dramaturgie, mais c’est raconté à travers des cadres. Et chaque cadre se termine ou commence avec une chanson. J’ai essayé de garder cette liberté. Parce que la structure me fatigue beaucoup au cinéma. Ça me fatigue, quand je vais au cinéma, et que je sens l’écriture en-dessous des histoires. Je n’aime pas quand les événements sont forcés. Tandis que les personnages est ce qu’il y a de plus important.

Il faut savoir se fier aux personnages, en effet. Et même, parfois, oublier la structure et laisser le film se construire par le biais d’un personnage.


S.N. :
Oui, exactement. Parce que, maintenant avec les séries télévisées et d’autres produits plus commerciaux, on a beaucoup d’événements et de structure. Ce que le cinéma peut offrir maintenant, c’est une façon de suspendre le temps et de réfléchir sur une différente manière de surprendre. J’ai l’impression que ce n’est pas possible à travers la structure, mais à travers des moments.

On peut notamment penser à la fausse structure de LE FILS DE SAUL, de Laszlo Nemes.


S.N. :
Oh moi aussi j’ai adoré. C’est l’un des meilleurs films de ces dernières années. Là, il y a un choix très fort du point de vue formel. C’est aussi un film carré, comme NICO 1988. Il faut faire plus de films carrés.

Pour en revenir au personnage, le film navigue entre Nico et Christa, entre le mythe et la réalité. Comment avez-vous travaillé avec Trine Dyrholm pour aborder cela ?


S.N. :
On s’est tout de suite dit qu’on serait libres par rapport à la vraie Nico. On a quand même beaucoup travaillé sur le matériau que Nico nous a laissé. Et la chose sur laquelle on a le plus travaillé est la musique. Trine devait chanter dans le film (on a fait des reprises, sans inclure les films musiques de Nico), et donc il y a eu tout un travail sur les chansons avant de commencer le tournage. On a trouvé une voix ensemble, en se rapprochant des paroles qui sont magnifiques. C’est une façon physique, et presque mystique aussi, d’entrer en communication avec Nico.

On dirait que le corps de Nico & Christa est fatigué, abîmé, dans le film. Est-ce un moyen de montrer la fin d’un univers ?


S.N. :
Je voulais raconter là la liberté. Une forme de libération pour Nico. Par exemple, le fait qu’elle disait « je ne prends jamais de douches » ou même d’autres nombreux éléments dans sa biographie, qui prouvent qu’elle voulait dire « je suis ça et je m’en fous. Je me moque de mon image ». Pour sortir de son image. Son corps est comme rongé par sa vie. Mais la manière dont elle porte son physique, ça ne veut pas dire qu’elle était désespéré ou qu’elle se laissait aller. Elle avait son look, elle se maquillait toujours. Mais c’est comme si elle voulait se rendre moche. En racontant cela, je voulais raconter une libération par rapport au corps.

Il y a une scène frappante sur la liberté de Nico. Lors d’une répétition dans une grande salle, Nico est sur scène avec son micro. Elle ne se tient pas très droite, et elle a un verre dans une main pendant qu’elle répète.


S.N. :
Ici, elle chante le seul titre de Velvet Underground qu’on a mis dans le film. On avait décidé avec Trine de lui faire chanter comme si elle s’en foutait, comme si elle était obligé, que le public n’attendait que cela. C’était particulier de travailler sur cette performance, parce que c’est la seule chanson qui n’est pas de Nico (dans le film) mais qui a une forte signification par rapport à elle.

Quelle est la place du rock dans le film, par rapport à la période du récit ?


S.N. :
Je pense que le rock n’est jamais cool. Je ne supporte pas quand il est raconté d’une manière cool. Surtout quand on fait voir les groupies. Ce qui est vraiment rock, c’est une forme de désespoir, une manière d’agir. J’ai des amis musiciens avec qui je suis parti en tournée, j’ai vu ce que c’est que de dormir tous dans la même chambre d’hôtel (ndlr : idée que l’on retrouve dans le film), ou dormir derrière la scène avant de jouer, etc… Et même à 40 ans, pas que à 18 ans. C’est ce que je voulais raconter, ce côté maladroit et pas forcément cool du rock, même parfois triste.

Et même parfois absurde.


S.N. :
Oui, absurde ! C’est ça aussi que j’aimais beaucoup : le fait que les situations étaient à la limite avec le comique. Parce que je pense que la vie est souvent absurde, et pas seulement le rock.

Les personnages sont-ils donc prisonniers de leur univers rock, de leur univers maladroit ? Est-ce un état de rupture ?


S.N. :
La date de 1988 est l’année avant celle de la mur de Berlin. Ça raconte une époque beaucoup plus triste. Nico a connu toute la Guerre Froide, sa génération est née juste avant ou pendant la Seconde Guerre Mondiale. Et pour elle, la guerre n’est pas finie. Elle n’a jamais vu son pays réunifié. Son rapport avec son pays était assez contradictoire. Elle a grandi dans un pays occupé, en est parti, et a porté son identité allemande avec une souffrance. Mais sans en voir la fin. Je pense que les années 80 était une période très sombre et triste. Puis on a eu l’impression que l’après, les années 90, était un moment de libération. Mais c’était une illusion, sans nostalgie des années 80.

Comment avez-vous abordé la mise en scène de l’absurde ?


S.N. :
Les épisodes que j’ai raconté sont tous réels. C’est vrai qu’on a parfois exagéré. J’ai construis le personnage avec beaucoup de liberté, mais tout autour est réel. Par contre, les personnages du groupe sont inventés. Mais je crois qu’ils m’ont été utiles pour raconter des choses différentes, inspirées tout de même de l’époque. Même si les événements ne sont pas forcément placés à leur date exacte, ils sont tous réels. Parfois, la réalité est plus absurde qu’on l’imagine.

Dans le film, Nico est en tournée et Christa est explorée à travers cela. Peut-on dire qu’il s’agit d’une quête pour Christa, ou serait-ce plutôt une errance ?


S.N. :
Je crois qu’on arrête jamais de former sa propre identité. Le coming-of-age peut avoir lieu à n’importe quel moment de la vie. Je pense qu’avant 30 ans, on ne sait pas vraiment qui on est et on est perdu, puis que tout arrive après (N.B : moi, qui ait fait l’interview, a moins de 30 ans, imaginez ma réaction à ce moment). C’est le contraire du mythe de la jeunesse. Je crois que la quête de Nico pour son identité d’artiste, mais aussi de femme et de personne, ne finit jamais. Et c’est ce qui m’a intéressé. Par rapport aux biopics classiques, mon film montre qu’on arrête pas de grandir et d’apprendre. Et comme beaucoup de personnes l’ont dit, c’est surement la période où Nico s’est trouvée.

Au générique, on remarque le nom de Crystel Fournier, directrice de la photo de Céline Sciamma (elles ont travaillé ensemble sur NAISSANCE DES PIEUVRES, sur TOMBOY et sur BANDE DE FILLES). Comment êtes-vous venue à collaborer avec elle ? Et comment avez-vous travaillé ensemble, notamment avec la scène de concert clandestin à Prague ?


S.N. :
Parce qu’elle avait fait les films de Céline Sciamma. C’était une collaboration très intéressante. Je pense qu’on est très bien entré ensemble dans l’esprit du film. Au début, on a fait très peu de gros plans et de mouvements. Parce qu’on savait que la force du concert de Prague était le mouvement de la caméra. Le concert à Prague était une scène difficile, parce qu’on avait le steadycam et on tournait autour d’elle. Je pense qu’on vit cette scène comme une libération ; parce que si on avait fait tout en steadycam, on en aurait eu marre une fois arrivés au concert de Prague. Crystel était même parfois plus rigide que moi. Et c’était bien. Puis, sur la lumière, on a essayé de reproduire un peu les images des VHS avec ces couleurs, cette perte de qualité. Même que Crystel avait préparé, pour chaque concert, des lumières différentes. Et lors de l’étalonnage, elle a sorti des lumières et des couleurs que je ne savais pas qu’elle avait placé. Elle a fait l’essentiel durant le tournage. Parce qu’une chose que je n’aime pas aujourd’hui dans la photographie, c’est que le travail du chef photo compte beaucoup sur la post-production.

Propos recueillis à Paris le 6 Avril 2018.

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