Jennifer Jones : Portrait d’une enfant gâtée

Pour qui a découvert Duel au soleil durant son adolescence, l’image de Jennifer Jones, en sang et en sueur affalée sur des rochers à la fin du film, a laissé une forte impression. C’est la sensualité folle dont l’actrice fait preuve qui imprime à jamais les esprits. Dans le rôle de Pearl Chavez, le plus fabuleux de sa carrière, Jennifer Jones déploie toute son énergie. Ce fut pour nous la découverte d’une actrice. Une actrice unique dont la carrière fut jonchée de rencontres avec de sacrés cinéastes mais qui se fit rare (27 rôles à l’écran seulement). Et de fait, il nous a fallu attendre les sorties simultanées de Duel au soleil et du Portrait de Jennie en Blu-ray et DVD (et coffret ultra-collector pour Duel au soleil) chez Carlotta pour nous pencher de nouveau sur la carrière de Jennifer Jones.

Née Phyllis Flora Isley, l’actrice doit sa carrière au grand mogul hollywoodien David O. Selznick. Le producteur, célèbre pour ses longs mémos et sa réputation colérique, est un homme véritablement passionné par le cinéma. Quand il rencontre Phyllis Flora Isley en 1941, elle a 22 ans. Lui en a 39. Ils sont tous les deux mariés mais il tombe rapidement sous le charme de la jeune actrice et décide de la prendre sous son aile. Il a déjà l’idée de faire d’elle une star de cinéma, une idée qui virera à l’obsession. Il la rebaptise Jennifer Jones et l’envoie faire du théâtre pendant deux ans, le temps qu’elle soit solidement formée au métier. Pendant ce temps, Selznick guette le rôle idéal pour faire décoller la carrière de sa protégée. Ce sera celui de Bernadette Soubirous dans Le chant de Bernadette. C’est le premier grand rôle de Jennifer Jones, la faisant rentrer en fanfare dans la cour hollywoodienne. En effet, en 1944, elle remporte l’Oscar de la Meilleure Actrice face à Joan Fontaine, Jean Arthur, Greer Garson et Ingrid Bergman.

Le chant de Bernadette (Henry King, 1943)

Difficile d’y voir autre chose qu’une manœuvre habile de la part de Selznick pour introniser sa muse à Hollywood et on l’imagine sans peine avoir fait des pieds et des mains pour dégoter l’Oscar à Jennifer Jones. Si Selznick voit en elle une star, Jennifer Jones est loin de se sentir légitime. Encore étonnée de sa victoire, elle oublie son Oscar dans son taxi en rentrant chez elle ! Loin de fanfaronner, Jennifer Jones travaille dur pour chacun de ses rôles. Elle lit, se renseigne et met tout en œuvre pour montrer qu’elle mérite d’être là. Avant Duel au soleil, que Selznick écrit pour elle, elle tourne dans Depuis ton départ et Le poids d’un mensonge. Avec à chaque fois, une nomination à l’Oscar.

C’est cependant vraiment avec Duel au soleil que l’actrice assoit sa réputation, impose sa présence à l’écran et marque toute une génération de spectateurs. Ce film ambitieux (Selznick voulait renouer avec le succès d’Autant en emporte le vent), saga familiale romanesque et passionnelle, est marqué par les exigences continuelles de Selznick qui n’hésite pas à refaire les prises un nombre incalculable de fois, maltraitant aussi bien le réalisateur King Vidor que Jennifer Jones qu’il fait suer sang et eau afin qu’elle brille dans le rôle. Exigeant avec tout le monde, y compris lui-même, Selznick ne s’y trompe pas et Duel au soleil est un succès, censuré par l’Eglise pour son érotisme exacerbé. Jones y gagne sa quatrième nomination à l’Oscar et devient une véritable star.

La folle ingénue (Ernst Lubitsch, 1946)

Dès lors, Selznick n’aura de cesse de placer sa muse chez les plus grands cinéastes : Ernst Lubitsch, John Huston, Vincente Minnelli (pour qui elle sera une magnifique Emma Bovary), William Wyler, Michael Powell, Emeric Pressburger, Vittorio De Sica… Jennifer Jones embrasse chacun de ses rôles avec un bel enthousiasme, sachant laisser ses partenaires prendre de la place sans les écraser. Elle semble au contraire avoir un bel esprit d’équipe, chose rare pour une jeune femme portée au firmament par un producteur tout-puissant. Un producteur au caractère infernal avec qui l’actrice a une liaison depuis des années. Le tempérament de Selznick est si terrible que Jennifer Jones supplie sa femme de le reprendre et qu’elle fait une tentative de suicide pour échapper à cette relation prenant de plus en plus de place dans sa vie. Ce qui ne l’empêchera pas d’épouser le producteur en 1949, avec des hauts et des bas mais toujours des rencontres avec des cinéastes et une nouvelle nomination à l’Oscar en 1956 pour La colline de l’adieu dans lequel elle partage l’affiche avec William Holden.

Tendre est la nuit (Henry King, 1962)

Ce sera L’adieu aux armes en 1957 qui signera la déclin de la carrière de Jennifer Jones. Le film est un échec qui met une fois de plus Selznick sur la paille. Cette fois, le grand mogul ne s’en relèvera pas, entraînant Jennifer Jones dans son sillage. L’actrice se fait discrète, joue dans Tendre est la nuit en 1962 mais sans jamais renouer avec le succès rencontré dans les années 40. Le décès de Selznick en 1965 la laisse démunie. Elle se tourne alors vers le théâtre, fait une nouvelle tentative de suicide et sombre dans la dépression. Il lui faudra un troisième mariage pour remonter la pente avant une dernière apparition au cinéma en 1974 dans La Tour infernale, archétype du film catastrophe des années 70 au casting de rêve. Le suicide de sa fille en 1976 l’éloigne définitivement des plateaux de cinéma. L’actrice à la carrière discrète ponctuée de moments flamboyants (Le chant de Bernadette, Duel au soleil, Le portrait de Jennie, Madame Bovary) mais brefs semble quitter le monde du cinéma sans regrets, se consacrant à la psychologie. Elle décède en 2009 à l’âge de 90 ans sans jamais avoir participé à un autre film. Glissant de films en films avec aisance, elle a également su glisser de son métier d’actrice à un autre sans jamais modifier sa façon de travailler : avec une concentration de tous les instants, toujours disposée à bien faire. On retiendra cependant d’elle l’image inoubliable, encore et toujours, de Pearl Chavez à la fin de Duel au soleil, firmament d’une actrice qui n’a jamais aussi bien brillé qu’à travers les yeux de son pygmalion David O. Selznick.

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