Red Sparrow : Récit d’espionnage loin de toute fantaisie

Le film débute de façon très accrocheuse. Montage alterné, musique classique et mouvements de caméra élégants laissent d’emblée espérer une œuvre stylisée et classieuse, sans pour autant tomber dans l’épate gratuite. Avec sa chorégraphie scénique presque digne de certains morceaux de bravoure de Brian de Palma, et ce sans avoir recours à l’action dans le sens Hollywoodien du terme, elle captive immédiatement et fait donc office de parfaite scène d’ouverture. Reste à savoir comment le film va pouvoir maintenir l’attention 2h20 durant, alors qu’il apparaît très vite clair, pour qui en doutait encore au vu des bandes annonces ne cherchant même pas à faire croire à la moindre micro scène d’action, que l’on aura à faire à un film d’espionnage à l’ambiance glaçante et dépressive, loin de tout glamour, et déstabilisant sans cesse par ses multiples jeux de dupes, finissant par nous faire penser que tout est possible. Sur cet aspect, le film s’avère finalement plutôt classique, malgré sa complexité de façade, que l’on sent aseptisée pour ne pas perdre totalement le spectateur lambda n’ayant que peu d’affinités avec cet univers cher au romancier John le Carré.

Les enjeux sont donc très rapidement identifiés, et même si le scénario va dès lors s’échiner à être le plus imprévisible possible en faisant endosser à ses personnages des rôles multiples, jouant, comme dit plus haut, sans cesse du double jeu, il suivra tout de même une ligne narrative claire, et ce sur un rythme anti spectaculaire, sans la moindre scène d’action donc, mais tout de même dynamisé par un montage alerte, évitant au film de tomber dans un ascétisme plombant comme La taupe de Tomas Alfredson, d’après John le Carré justement.

Là où le scénario s’avère le plus surprenant, c’est dans sa partie sur la formation à être un « moineau », misant beaucoup sur l’humiliation et un certain avilissement sexuel qui, s’il s’avère toujours quelque peu contenu par les choix de cadrages, prenant bien garde à ne jamais tomber dans l’exploitation pure, se montre quand même plutôt osé dans le cadre habituellement sclérosé d’un cinéma de grand studio américain rechignant la plupart du temps à partir dans des directions pouvant passer pour trop déviantes auprès des exécutifs. La promotion mise beaucoup sur cette place laissée à la nudité, mais en vérité, il s’agit plutôt d’un choix assez racoleur, espérant flatter les bas instincts d’une catégorie de spectateurs, car même si cet aspect est bien présent et surprenant de par ses situations plus que suggestives, réduire le film à cet aspect serait réducteur. La violence graphique est également présente et soutenue, avec quelques excès de sadisme, notamment lors d’une scène de torture, là encore, cadrée savamment pour ne pas dépasser certaines limites, mais plus brutale que la moyenne de ce genre de production.

Ces qualités bien réelles ne peuvent malgré tout faire oublier certaines facilités dans lesquelles finit par s’embourber le scénario, qui à force de vouloir surprendre et duper sans cesse le spectateur, finit par virer à la mécanique parfaitement huilée, rendant le résultat finalement pas si surprenant que cela, une fois que l’on a admis le fait que tout peut arriver. Les personnages finissent du même coup par donner l’impression de pions sans réelle personnalité, exécutant les tâches imposées par le scénariste de façon mécanique et désincarnée. Il faut dire que le jeu général n’est pas à la sur-expressivité, et s’avère plutôt minimaliste, à commencer par Jennifer Lawrence, qui si elle donne plutôt de sa personne physiquement, se complaît tout de même dans un monolithisme finissant par s’avérer un peu gênant au niveau de l’identification. On suppose que ce jeu à priori creux est voulu, pour coller à l’atmosphère froide et déshumanisée du film, mais en prenant en compte la durée inhabituelle, et pour tout dire, plutôt disproportionnée, celui-ci s’avère contre productif, car un minimum d’empathie était indispensable pour que l’on se préoccupe réellement de ce qu’il peut arriver aux personnages. Sans ça, on se retrouve avec un produit très bien conçu, à la mise en scène irréprochable, mais sans âme, et parfois quelque peu déstabilisant lorsque certains personnages se mettent à agir de façon incohérente.

Malgré tout, on peut se raccrocher à la très belle musique composée par James Newton Howard, et par le jeu un peu plus nuancé de Joel Edgerton, apportant un petit supplément d’âme bienvenu par la personnalité plus complexe du personnage qu’il campe avec prestance et subtilité. Les autres acteurs sont un peu plus caricaturaux, pas aidés par leur écriture pas toujours très fine, notamment ce tueur impitoyable et cruel gardant le même air impassible même lorsqu’il torture savamment ses victimes. A noter également un accent russe tenu une fois sur deux, par l’ensemble du casting, ce qui nous fait dire qu’il aurait peut-être été plus judicieux de se contenter de laisser parler les acteurs anglais sans accent. Mais bon, ce n’est qu’un détail finalement pas si gênant que ça.

Le film était un temps prévu pour David Fincher, et cela n’est pas si surprenant que ça lorsqu’on voit le résultat, car on retrouve dans la mise en scène de Francis Lawrence des choix de compositions (plans larges symétriques) propres au cinéaste de Seven, ainsi qu’un univers glaçant proche de son adaptation de Millenium. Difficile de dire en l’état si le film aurait été différent avec lui, étant donné que là où celui-ci pêche, c’est par son scénario écrit par une seule personne, donc il n’est pas certain que cela aurait changé grand-chose, le film tel qu’il nous est présenté aujourd’hui, s’avérant tout à fait honorable du point de vue formel. Malheureusement, une structure assez répétitive et un manque flagrant d’empathie pour les personnages nous font suivre le tout sans difficulté, ni ennui considérable, mais sans passion non plus, et ce malgré quelques fulgurances, principalement de violence, faisant office de scènes d’action au milieu d’un film loin des critères de rythme habituels. Ce qui est loin d’être un défaut pour notre part, mais dont l’appréciation finale dépendra évidemment de ce que l’on attend d’un film d’espionnage, un traitement fantaisiste à la James Bond, ou plus réaliste et moins glamour. Faites votre choix, en espérant tout de même que malgré ses faiblesses, le film ne fasse pas un gadin, la Fox restant quasiment le seul studio Américain à persister dans un cinéma plus adulte et risqué. Cela serait donc dommage que toutes ces tentatives, aussi imparfaites soient-elles, ne soient jamais récompensées.

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