My Friend Dahmer : Il trempe des animaux dans l’acide, ça tourne mal !

Ce n’est pas la première fois que le cas Jeffrey Dahmer fait parler de lui au cinéma. Quelques tentatives (The Secret Life: Jeffrey Dahmer (1993) ou plus récemment, Dahmer, sorti en 2002, par exemple) de transcrire les actes du fameux tueur en série ont déjà vu le jour, et montrent bien qu‘ils n’ont pas fini d’asticoter notre fascination morbide. Quel intérêt apporte alors une énième investiture de cette figure malsaine sur le grand écran ? My Friend Dahmer offre une nouvelle perspective à l’affaire et au personnage, puisqu’il est avant tout l’adaptation de la bande dessinée éponyme de Derf Backderf : ancien camarade de classe de Dahmer. Bien que le long métrage reflète le point de vue de l’auteur, c’est avant tout un Jeffrey adolescent que l’on va suivre, avant qu’il ne commette ses exactions.

On ne cherche pas ici à expliquer de manière empirique encore moins à excuser via des poncifs larmoyants, le comportement de Dahmer. Mais plus simplement, de comprendre, au moins partiellement, l’énigme qu’il est. On laisse au spectateur le soin de faire la part des choses et on met le doigt sur la responsabilité de l’entourage de Dahmer. Si son cadre familial se désagrège petit à petit, il est aussi difficile pour un père de réagir avec justesse face à la découverte de la cabane de son fils, lieu dans lequel il étudiait la décomposition de corps d’animaux mis dans des bocaux remplis d’acide. Le portrait fait des adultes n’est pas reluisant : au mieux passifs, au pire impuissants, il ne font qu’empirer les choses pour Jeffrey.

Si l’on ne savait pas qui l’on suivait, on pourrait facilement se dire que l’on suit un inadapté social de plus, tout en retenue devant la peur du regard des autres. Ross Lynch sort ici de ses rôles habituels pour Disney Channel et offre une performance convaincante, avec ce corps vouté, comme bon nombre d’ados qui semblent porter le monde sur leurs épaules, accompagné par un regard torve. Un vrai nerd en puissance, si ce n’était pour ses hobbies hors normes qui lui enlèvent d’emblée le capital sympathie de l’habituelle victime de service en milieu scolaire.

En témoignent ses blagues, qui lui vaudront une popularité superficielle où il singe des convulsions en public qui ne manquent pas de faire rire ses camarades, mais laissera volontairement le spectateur à une certaine distance pleine de malaise. De ceci naît un « fan club de Dahmer », parasite qui se repaît de ses étranges pitreries en échange de quoi, il a l’impression d’exister avec la reconnaissance factice qu’il reçoit. Oui, Dahmer aurait fait fureur sur Youtube. Toujours perdu, désorienté, livré à lui-même face à sa sexualité naissante qu’il ne sait pas comment appréhender, Dahmer, lors de ses errances, sert de vecteur pour faire connaissance avec le reste des personnages parmi lesquels, il croisera des reflets nuancés de lui-même. Comme Finn (et plus tard Derf), paria de l’école, dealer, dont la situation familiale semble bien pire. Chaque cas est unique.

My Friend Dahmer ne manque pas de nous déstabiliser avec sa mise en scène et son rythme atypiques, qui collent au sujet. Il y a fort à parier que les nombreuses ellipses sont aussi dues à l’adaptation de la bande dessinée, support de prédilection de cette figure de style. On se retrouve avec un enchaînement de saynètes parfois lapidaires, avec un fil rouge certes présent, mais ténu par instants. Ce qui ne manque pas de produire un effet de doute et de vacillement intéressant, allant de pair avec l’opacité psychologique de Dahmer. Ajouté à cela un mixage sonore aux sonorités caverneuses et gutturales , l’ambiance est habilement (?) posée.

Inhabituel, nous laissant seul face à nous-même, My Friend Dahmer interroge en donnant une version des faits, qui sans accabler le tueur en devenir, ne convoque pas non plus l’empathie facile et pernicieuse. Il interroge sur le rôle de son environnement et sa responsabilité, sans chercher à en détourner les yeux. Malgré ses défauts, le film réussi à intriguer et à tenir sa distance nécessaire (là où le trait de Backderf suffisait à instaurer un ton dérangeant dans sa bande dessinée). Sombre et négatif, personne n’est épargné, surtout pas Backderf, dans cette œuvre entre sensibilisation et rédemption. My Friend Dahmer est à l’image de son sujet : un cas rare et intéressant.

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