Phantom Thread : Du cousu main pour Daniel Day-Lewis

Il y a toute une combinaison d’éléments susceptibles de nous pousser vers Phantom Thread, en salles le 14 janvier. D’abord parce qu’il s’agit d’un film de Paul Thomas Anderson, certainement l’un des cinéastes américains les plus excitants de sa génération, qui aborde chaque film avec un regard nouveau, forçant le spectateur à le suivre toujours plus loin. Ensuite parce que Daniel Day-Lewis y incarne le personnage principal et que l’acteur a su faire de sa rare présence une seule bonne raison de voir un film. Paul Thomas Anderson et Daniel Day-Lewis avaient d’ailleurs travaillé ensemble sur l’un des chefs-d’œuvre incontestés du cinéma américain du XXIème siècle : There Will Be Blood. Avec à la clé un deuxième Oscar du Meilleur Acteur pour Day-Lewis. Mais une autre raison nous pousse vers Phantom Thread : Day-Lewis ayant déclaré qu’il s’agissait pour lui de son dernier film avant sa retraite, aucun cinéphile digne de ce nom ne pouvait le manquer. Si l’acteur nous avait déjà fait le coup, Scorsese l’ayant sorti de sa retraite pour Gangs of New York, Day-Lewis a déclaré lui-même souffrir d’une sorte de dépression inexplicable déclenchée durant le tournage qui le ferait aller vers autre chose que le cinéma pour lequel il a tant donné en pourtant peu de films (une vingtaine).

C’est donc en tournant pour la deuxième fois pour Paul Thomas Anderson que Daniel Day-Lewis nous offre un dernier (ou pas, nous verrons bien) rôle qui lui va comme un gant. L’acteur incarne ici Reynolds Woodcock, grand couturier du Londres des années 50 dont la routine de célibataire endurci est particulièrement bien rodée. S’il s’autorise des fréquentations, celles-ci sont renvoyées dès qu’il se lasse avec une jolie robe comme lot de consolation. Pour protéger Reynolds, sa sœur Cyril semble prête à tout, décidée à ne pas toucher aux petits rituels de son frère un brin capricieux, totalement plongé dans son travail quitte à être obsessionnel et monomaniaque. Tout finit par basculer quand Reynolds rencontre Alma. D’abord serveuse, la jeune femme finit par devenir la muse de Reynolds, travaillant dans son atelier. Mais lassée d’attendre sans cesse son compagnon, Alma décide de prendre les choses en main, bousculant la routine bien établie de Reynolds…

On n’en dira pas plus sur le déroulement de ce récit particulièrement grinçant et retors où l’amour ne fonctionne que sur des rapports de pouvoir. Bien que capricieux et capable d’être glaçant quand il s’y met, Reynolds n’est au fond qu’un homme à la merci des femmes de sa vie. Il garde en permanence une mèche de cheveux de sa défunte mère cousue dans le revers de sa veste, sa sœur Cyril gère tous les côtés rébarbatifs de son métier et Alma finit ensuite par s’emparer du pouvoir que Cyril avait sur son frère. D’abord dominée par ces rapports étranges et par les colères de son homme qui s’énerve pour un rien (trop de bruit au petit-déjeuner peut lui ruiner sa journée), Alma entreprend alors de mettre en place un rapport de force qui laisse assez songeur sur la façon dont Paul Thomas Anderson voit l’amour.

Se déroulant essentiellement dans la maison servant d’habitation et d’atelier à Reynolds, Phantom Thread fait parfois penser à The Servant et à la façon dont Joseph Losey mettait en scène les rapports de force. Ici, ils sont amoureux, sacrément névrosés et pour donner de la flamme à leur amour, Alma et Reynolds passent par des étapes absolument grinçantes qui vont des dîners aux chandelles loupés aux silences pesants en passant par quelques hauts-le-cœur mémorables.

Drapé dans une mise en scène résolument élégante aux cadres soignés (et parfois oppressants), Phantom Thread demande, comme tous les films de Paul Thomas Anderson depuis There Will Be Blood, un effort d’attention particulier de la part du spectateur. Personne pour vous prendre par la main ici, le spectateur doit être attentif aux détails et chaque scène compte, quand bien même celles-ci ne font pas forcément sens à première vue. Là où les premières images du film laissaient entrevoir un film romanesque, Thomas Anderson se dirige vers quelque chose de plus viscéral mais de tout autant universel. Partageant plusieurs thématiques en commun avec les autres films du réalisateur (l’homme dominé par sa sœur faisant écho au personnage principal de Punch-Drunk Love, le rapport entre un maître et son  »apprenti » rappelant The Master), Phantom Thread est un film somptueux (ah ces costumes !) sous lequel se drape une réflexion féroce sur le couple et sur ce qu’il accepte d’abandonner à l’autre par amour.

Superbe film intelligent, aussi beau que cruel, Phantom Thread doit évidemment beaucoup au charisme magnétique de Daniel Day-Lewis qui, s’abandonnant dans le rôle de Reynolds, y livre une prestation intense largement capable de souffler l’Oscar du Meilleur Acteur à Gary Oldman en mars prochain. Impeccable de retenue et d’élégance, glaçant quand il s’énerve, Day-Lewis domine le film même si Lesley Manville (assez effrayante en sœur protectrice) et Vicky Krieps (partageant quelques faux airs avec Alicia Vikander) parviennent à lui tenir la dragée haute sans sourciller, Krieps livrant une composition sacrément subtile, achevant de faire de ce Phantom Thread un nouveau grand film de Paul Thomas Anderson qu’on ne demande qu’à réexaminer ensuite sous toutes ses coutures pour qu’il nous livre de nouveaux détails !

3 Rétroliens / Pings

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