Centaure : Rencontre avec le réalisateur Aktan Arym Kubat

C’est un film que l’on n’avait pas vu venir tant il était discret, engoncé derrière des films à la promotion beaucoup plus conséquente. Pourtant, Centaure, nouvelle réalisation du cinéaste kirghize Aktan Arym Kubat, est un joli film dont la poésie et le vent de liberté viennent faire du bien en ce mois pluvieux et sacrément déprimant. La rencontre avec le réalisateur se fait dans un petit hôtel discret et l’homme se montre avenant, disposé à parler de cinéma mais aussi de sa culture qu’il défend à travers sa filmographie. Chacun voit l’art comme il veut, Aktan Arym Kubat s’en sert pour préserver la culture et les traditions de son pays. Retour sur une rencontre enrichissante :

Comment vous est venue l’idée de Centaure ?

C’est assez difficile de vraiment parler d’idée car je crois qu’aujourd’hui toutes les idées ont déjà été portées à l’écran. Même les scénaristes le reconnaissent. Le point de départ du film, c’est une image que j’avais, l’image d’un homme galopant à cheval, c’est de ça dont je suis parti. C’est une image qui m’est venue d’après une histoire arrivée dans mon village : un homme qui possédait un très beau cheval était un jour venu aux bains publics – ça existait encore à l’époque – et quand il était ressorti des bains, son cheval avait disparu. On a fini par retrouver le voleur, il a été battu, torturé mais jamais personne n’a su pourquoi cet homme avait volé ce cheval. Selon moi, il l’a fait juste pour le geste, simplement pour s’offrir une balade au galop sur ce très beau spécimen, c’est ainsi que je l’interprète en tout cas. C’est une image qui m’a beaucoup plu et qui plaisait aussi à mon producteur, c’est comme ça qu’est né Centaure. En travaillant aussi bien sur l’écriture du scénario que sur le montage, nous sommes arrivés à cette idée qui est la quête de soi. Je pense que la quête existentielle, personnelle et initiatique a toujours existé. L’homme a toujours essayé de se comprendre, on dit même que quelqu’un qui ne s’est pas compris ne peut rien comprendre. Je crois d’ailleurs qu’on devrait d’abord essayer de se comprendre soi-même avant de chercher à comprendre les autres.

Vous parliez du cheval, le film s’ouvre d’ailleurs avec une citation disant que les chevaux sont les ailes des hommes. Quel est le rapport que vous entretenez au cheval dans votre culture ?

Quand on parle de la culture nomade, il est impossible de ne pas parler des chevaux. Le cheval a eu un rôle prépondérant dans notre culture, dans sa relation à l’homme, dans notre relation à cet animal qui représente beaucoup de choses pour nous… Le cheval nous donne notre place dans la nature aussi. Je pense que mes ancêtres sont des centaures car on ne peut pas imaginer un nomade sans qu’il soit à cheval. La relation entre l’homme et le cheval était primordiale, c’étaient des camarades, des amis. On a des chants, des légendes, des tas de récit autour des chevaux. Énormément de villages dans notre pays sont nommés en référence à un cheval, à une partie de son corps, à une couleur de cheval… Et bien entendu, chacun de ces villages est lié à une légende concernant un cheval en particulier. Ces animaux font partie de notre culture, de notre âme.

Vous jouez ici le rôle principal comme dans votre film Le voleur de lumière. C’est une chose qui vous tenait à cœur ou ça s’est fait comme ça ?

On dit tout le temps que dans le cinéma d’auteur, plus l’auteur est présent mieux c’est. En tant qu’acteur, en tant qu’auteur, on a peut-être plus de chance à véritablement incarner les idées que l’on a envie de transmettre. Je ne pense pas que j’aurais pu trouver un acteur qui aurait incarné ce rôle là mieux que moi. Au départ, c’est vraiment à cause d’un concours de circonstances que je me suis retrouvé à faire l’acteur. Pour Le voleur de lumière, nous avions passé beaucoup de temps sur le casting et nous avions fini par trouver un acteur au Kazakhstan qui s’est désisté au dernier moment. Pendant qu’on faisait les casting du Voleur de lumière, l’équipe du film n’arrêtait pas de me faire des petites blagues en disant que je serai bien dans le rôle car ils me trouvaient aussi drôle que le personnage. Finalement maintenant que le film s’est fait, tout le monde me dit qu’il n’aurait pas pu être fait autrement. Alors pour Centaure, on avait décidé dès le départ que je jouerai le rôle. Dès le scénario, le personnage avait certaines de mes caractéristiques.

Vous vous sentez donc proche du personnage de Centaure ?

Oui bien sûr, je pense que Centaure c’est moi ! Que ce soit dans Le voleur de lumière ou dans Centaure, j’incarne ma vision du monde.

On sent dans le film que vous êtes attachés à votre culture et à vos traditions au profit de l’égoïsme des gens, de la religion… C’est quelque chose qui vous tenait à cœur de montrer ces traditions qui disparaissent ?

Vous savez, tous mes films sont des chroniques de mes tourments personnels. Je ne pense pas que le peuple kirghize se pose vraiment la question de la disparition de leur culture et de leurs traditions. Les gens vivent simplement leurs vies, ils essayent de survivre dans la situation actuelle. Mais je pense que tout artiste s’inquiète d’une façon ou d’une autre du fait que nous sommes en train de perdre notre identité de plus en plus. Ceci dit, je suis probablement le seul dans mon pays à soulever cette question à travers mon cinéma ou les articles que j’écris. La culture de mon pays est menacée aujourd’hui à cause de plusieurs facteurs. Ils sont économiques car nous sommes coincés entre deux pays immenses, la Russie et la Chine. Nous sommes aussi menacés par la mondialisation. Mais la menace principale aujourd’hui à mes yeux, c’est la religion. Elle tente de remplacer la culture, elle pervertit nos traditions, essaye de les remplacer. Je ne suis pas contre la religion à proprement parler, c’est une affaire très intime et personnelle mais je suis contre l’arabisation. Quand on me parle de ce que c’est que d’être un bon musulman, on me dit qu’il faut que je me laisse pousser la barbe, on me dit qu’il faut voiler ma femme mais j’ai seulement l’impression qu’on veut remplacer ma culture, la culture kirghize, par une autre culture. C’est aussi une menace pour notre langue qui est déjà suffisamment polluée par le russe. Depuis notre indépendance, on subit l’influence de certaines langues occidentales comme l’anglais et maintenant on voit de plus en plus d’expressions arabes apparaître dans notre langue. Et tout le monde nous explique comment bien prononcer ces mots, ces expressions… Pour moi, c’est un vrai danger pour notre culture, notre pays et je suis un peu triste que nos dirigeants n’y prêtent aucune attention. Bien sûr, certaines personnes essayent de s’insurger contre ça mais il n’y a jamais eu de mouvements politiques de l’état pour préserver notre culture.

Comment expliquez-vous cette montée de la religion dans votre pays ? Est-ce depuis la chute de l’URSS ?

Oui, avant toute chose c’est lié à la chute de l’Union Soviétique. Je ne sais pas si c’était bien ou mal mais en tout cas avant, il y avait une idéologie soviétique et bien évidemment, l’union soviétique faisait tout pour promouvoir cette idéologie. Le cinéma en faisait partie, c’était même son premier outil majeur. Et moi aussi j’étais persuadé qu’on allait tous construire le communisme ! Et puis un jour finalement, on apprend que non, il n’y aura jamais de communisme. Nous étions tous très perdus. Depuis notre enfance, on nous montrait une seule voie. Quand l’Union Soviétique s’est effondrée, les gens étaient totalement perdus, horrifiés. C’est ce vide laissé par la chute du communisme qui a créé énormément d’angoisse et de peur chez les gens. Et que fait-on quand on ressent un vide dans notre vie ? On le comble avec de nouveaux repères. Beaucoup de gens les ont trouvé dans la religion. Ça a toujours fonctionné comme ça. La religion musulmane étant notre religion officielle, c’est elle qui a pris le relais. Je pense qu’il y a aussi une stratégie géopolitique derrière ça, il y a des conflits d’influence qui se cachent là-dessous, beaucoup de mouvements religieux sont financés par la politique. Aujourd’hui dans mon pays, on construit beaucoup de mosquées. Il y a plus de mosquées que d’écoles ! Chaque commune a une mosquée. A l’époque, ils confisquaient les ciné-club pour en faire des mosquées. Il y a une scène comme ça dans Centaure, c’est une scène que j’ai vécu. La religion est donc pour moi l’un des problèmes qui menacent ma culture et ma langue. Mais il y a aussi la mondialisation qui n’aide pas… Je ne sais pas ce que va devenir mon pays, je ne veux pas qu’on perde notre identité traditionnelle populaire. Si un jour le Kirghizistan disparaît, le monde ne s’arrêtera pas de tourner… Mais je crois que ce qui nous rend intéressants, ce sont nos différences, nos différences culturelles, linguistiques…

(à ce moment, le cinéaste se fend d’un sourire rempli de malice et de bonté – NDLR)

Vous avez déjà des projets pour la suite ?

Je n’ai pas d’idées, comme je vous l’ai dit, je pense que les idées c’est un peu du bluff. Mais il y a un certain nombre de cas, de situations et d’anecdotes que j’ai en tête. Laquelle d’entre elles vais-je développer ? Je ne le sais pas encore. Par contre, ça parlera forcément de la vie et je pense que je jouerai à nouveau le rôle principal. Ce sera le dernier volet d’une trilogie qui marquera la fin de ma carrière d’acteur ! Après c’est aussi une question d’argent, il faut le trouver, le débloquer. J’espère que ça ira. Je ne préfère pas donner de précisions sur mon prochain film mais j’y travaille déjà en tout cas.

 

Propos recueillis le 24 janvier 2018. Un grand merci à Robert Schlockoff et Celia Mahistre

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*