3 Billboards, les panneaux de la vengeance : La tragédie de l’existence

Il était permis d’attendre beaucoup de ce troisième long métrage réalisé par Martin McDonagh, auteur rare et précieux du cinéma contemporain, ayant à son actif le très remarqué Bons baisers de Bruges et le plus décrié mais néanmoins passionnant 7 psychopathes. Ce dernier avait pu déstabiliser une partie du public par son aspect théorique expliquant au spectateur les rouages de la fabrication d’un film, mais s’avérait suffisamment riche de ses multiples niveaux de lecture pour pouvoir prétendre à plusieurs visionnages, afin d’en épuiser toutes les richesses. Avec le film qui nous intéresse aujourd’hui, le cinéaste revient au ton tragi-comique de son premier film, et accomplit ce que l’on est en droit d’attendre de toute œuvre cinématographique digne de ce nom, à savoir nous surprendre à chaque instant en déjouant littéralement toutes nos attentes. Il ne s’agit pas pour autant de jouer au petit malin avec un film à twists cherchant la complicité du public à chaque instant. Ici, disons que la résolution de l’intrigue importe moins que la façon d’y arriver. On peut même dire sans prendre de risques que l’issue est plutôt prévisible, que c’est la façon dont les évènements, absurdes et tragiques, influent sur les divers personnages qui parsèment le récit, qui intéresse le cinéaste, et par conséquent le spectateur. Quiconque s’attendrait à une banale histoire de vengeance risque fort d’en sortir déçu. Ceci compris, il n’y a plus qu’à se laisser porter par cette atmosphère si singulière, parfaitement maîtrisée par le cinéaste.

Dès les premières images, l’atmosphère est posée, et avant même que le moindre dialogue ait retenti, on est déjà conquis par la capacité du metteur en scène à soigner ses cadres et à faire exister le paysage qu’il filme, non pas comme un simple lieu, mais comme un personnage à part entière, dans la grande tradition d’un cinéma classique américain ayant un peu tendance à déserter les écrans. Ce qui frappe encore plus, c’est à quel point les enjeux s’avèrent parfaitement exposés, par la simple mise en scène, plus que par des dialogues sur-explicatifs. C’est ainsi que, pour qui rentrerait dans la salle vierge de toute information, ce qui constituera le cœur du récit est clairement exposé dès les 10 premières minutes, et c’est pour cela que la suite consistera plus à révéler l’humanité de chacun de ses personnages, qu’à dérouler une classique histoire policière qui irait d’un point A à un point B, sans réelle ambition. Il ne faut pas comprendre par là que le film n’a ni queue ni tête, et part dans tous les sens, seulement le cinéaste ne suit pas le chemin tout tracé qui s’offrait à lui, et préfère laisser une large place à ses acteurs qu’il filme avec amour et bienveillance, quand bien même les actes des personnages qu’ils campent seraient condamnables. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il sait faire dans la nuance, sans le moindre manichéisme, et que chaque personnage, même celui qui s’avèrerait à priori le plus odieux, aura l’occasion de briller et bouleverser le spectateur, grâce à une structure dramatique n’obéissant à aucun schéma, et réussissant pourtant à rester d’une fluidité implacable et d’une évidence dont seuls les plus grands peuvent se targuer.

 

A ce titre, il est difficile de ne pas évoquer des cinéastes symboliques de ce cinéma américain noble et élégant, à savoir les Coen brothers, qui depuis leurs débuts, ne cessent de développer un cinéma n’appartenant qu’à eux, au ton singulier, tout en s’appropriant des genres classiques du cinéma, et en développant une mise en scène d’une virtuosité jamais tape à l’œil, quasi invisible pour qui ne sait pas regarder au-delà des images. Une suite de plans parfaitement agencés, trouvant systématiquement leur raison d’être. Et, tout en continuant à développer un style tout personnel, Martin McDonagh s’approche réellement de cette perfection d’exécution, de ce style paraissant tellement évident et classique qu’il emporte tout sur son passage, au point de faire baisser la garde du spectateur, en seulement quelques secondes. Il est rare de se laisser à ce point emporter par un film, au point que l’on ne se pose aucune question en le regardant. On suit ces personnages si finement écrits avec bonheur, on admire les prestations de comédiens tous superbement dirigés, au sommet de leur art, apportant chacun ce petit supplément d’âme qui n’appartient qu’à eux, tellement à contre courant des silhouettes qui hantent la majorité des films actuels. Et l’on est captivé par cette histoire déroutante, sans jamais vraiment savoir comment classer ce que l’on est en train de regarder. Est-ce une comédie ? Un drame humain ? Une peinture douce amère de la condition absurde de l’être Humain ? Plutôt tout ça à la fois, sans pourtant que le mélange ne paraisse forcé ou artificiel. Chaque détour du scénario, chaque dialogue finement ciselé, et qui chez un autre cinéaste, pourraient faire s’écrouler le fragile édifice édifié, trouvent un sens profond, et participent à ce que ce film soit plus qu’une simple histoire de meurtre non élucidé atteignant chaque personnage à divers niveaux. Le résultat est d’une profondeur rarement atteinte dans ce type d’histoire, et cette façon si personnelle de passer au sein d’une même séquence de la drôlerie provoquant de francs éclats de rire, à la tragédie nous laissant dévasté, est suffisamment atypique et maîtrisée pour que l’œuvre résiste à toute tentative maladroite de sur-analyse, et qu’il ne reste plus que le plaisir simple d’assister au résultat du travail d’un artiste en pleine possession de ses moyens, racontant son histoire avec un talent et une sincérité assez bouleversante.

Il serait fastidieux et inutile de citer tous les acteurs les uns après les autres, tant ils sont tous exceptionnels et livrent des prestations qui pourraient toutes prétendre à une nomination aux Oscars. Nous ne pouvons que vous inciter à aller voir le film lors de sa sortie le 17 janvier 2018, tant l’intelligence et l’humanisme déployés ici ont tout pour provoquer des torrents d’émotions chez les plus blasés des spectateurs. En tout cas, on peut déjà affirmer sans avoir peur de se tromper que l’on tient là le premier grand film de l’année 2018, et sans doute l’un des films majeurs de cette même année, par la même occasion.

2 Rétroliens / Pings

  1. Oscars 2018 : la liste complète des nominations - Close-Up Magazine
  2. Box-Office France du 17/01/2018 au 23/01/2018 - Close-Up Magazine

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*