Le Grand Jeu : itinéraire d’une femme à la volonté de fer

Scénariste virtuose, aussi bien à l’aise sur le grand écran (The Social Network, Steve Jobs) que sur le petit (A la Maison Blanche, The Newsroom), Aaron Sorkin a décidé de sauter le pas et de se lancer dans la réalisation. Basé sur l’histoire vraie de Molly Bloom, organisatrice de soirées clandestines de poker brassant des millions de dollars et des tas de célébrités, richissimes hommes d’affaires et mafieux russes ! Passionné par le personnage de Molly, une femme forte et brillante définie par son intelligence et non sa beauté physique (pourtant avantageuse, aussi bien dans la réalité qu’à l’écran où Jessica Chastain et ses superbes robes dominent l’ensemble du film), Sorkin fait donc péter tous les atouts qu’il a dans sa manche.

Au niveau de la mise en scène, c’est simple, suffisamment rythmé et énergique pour que l’on soit plongés dans l’intrigue qui, comme d’habitude chez Sorkin, demande un niveau d’attention tout à fait particulier. D’où la construction en flash-back et la voix-off comme outils narratifs pour mieux nous faire comprendre le parcours de Molly, riche en combines mais non dénué d’émotions. Car Sorkin préfère les relations humaines et la psychologie des personnages à l’effet choc et chez lui, les phrases débitées à la mitraillette sont des armes, certes, mais jamais gratuites. Ses dialogues, tout simplement brillants et haletants, restent sa grande force, permettant d’en dire long en laissant le spectateur le souffle coupé. Si dans l’ensemble, on ne peut s’empêcher de constater que Le Grand Jeu (titre français un peu débile, faisant penser au film de Nicolas Pariser sorti en 2015) aurait certainement gagné à être réalisé par un cinéaste plus expérimenté (entre les mains de David Fincher, pour ne citer que lui, ça aurait forcément eu plus d’allure), le fait est que pour la première réalisation d’un scénariste, le film s’en sort avec les honneurs, se situant largement au dessus du lot de ceux qu’on voit habituellement.

La faute, bien évidemment, à un scénario totalement mordant, bourré de tirades renversantes, prenant à bras le corps son sujet sans jamais juger Molly Bloom. Le scénario, certes moins resserré que les autres Sorkin, prend un peu de temps avant de décoller mais ne tarde pas à dévoiler son ampleur, son intelligence et sa férocité. Son émotion aussi le temps d’une superbe scène avec un Kevin Costner qui sait toujours autant user de son charisme. Notons tout de même la prestation flamboyante de Jessica Chastain dans le rôle titre, l’actrice attirant à elle toutes les faveurs du spectateur dans la peau d’un personnage à la volonté de fer, bien décidée à ne confier qu’à elle seule les clés de sa réussite. Idris Elba complète le casting avec classe, s’emparant des mots de Sorkin avec une habileté étonnante, brillant lui aussi le temps de quelques scènes clés. Bien qu’un peu boursouflé par un léger trop-plein d’informations, force est de reconnaître que Sorkin reste l’un des meilleurs scénaristes actuels, balançant ses répliques brillantes avec une aisance toujours aussi admirable, donnant à ses films (très bavards) des allures de joutes régulièrement inoubliables. Aaron Sorkin vient donc ouvrir l’année cinéma 2018 avec un niveau qui, on l’espère, va donner le la aux autres sorties de l’année. Ce serait en tout cas un immense cadeau à nous faire.

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