Bienvenue à Suburbicon : Nos pires voisins

Banlieue chic, cadre idyllique, voisins bienveillants et souriants… d’entrée de jeu, Bienvenue à Suburbicon nous pose son cadre fifties trop propre pour ne pas provoquer un lever de sourcil interrogateur. Ce petit coin tranquille à l’atmosphère délicieusement fake et désuète — que l’on doit au chef décorateur Jim Bissell avec qui Clooney a déjà travaillé sur Monuments Men et Good Night, and Good Luck — a tout du quartier résidentiel de rêve où tout semble parfait… trop, peut-être. Présenté sous la forme d’un spot de publicité immobilière, Suburbicon nous est vendu par une voix suave digne des pires VRP, qui nous met inconsciemment en garde : c’est trop beau pour être vrai.

On devine alors que cette mécanique bien huilée va rencontrer des dysfonctionnements. Une fois la dernière page du livret publicitaire de l’introduction tournée, la réalité nous rappelle bien vite à l’ordre. Avec l’arrivée des nouveaux voisins, les Mayers, dont la couleur de peau n’est pas du goût de tout le monde, le vernis s’écaille comme prévu. Mais va-t-on avoir le droit à une simple dénonciation du racisme décomplexé de l’époque, appuyée par un classique bal des faux-culs ou quelque chose de plus profond et moins consensuel ?

Avec les Coen, Clooney et Grant Heslov à l’écriture, on est en droit de s’attendre à plus qu’un simple pamphlet politiquement correct. Et bien que l’histoire des Mayers (tirée d’une histoire vraie, ce que les Coen se gardent bien de nous préciser cette fois) soit présente en filigrane, c’est avant tout pour faire diversion devant le drame personnel qui va s’abattre sur leurs voisins les Lodge. Au milieu de la pagaille qu’entrainent involontairement les nouveaux venus, le meurtre de Rose Lodge (Julianne Moore) et ses ramifications n’ont que peu d’incidences pour les voisins de la petite bourgade : quelques condoléances et puis s’en vont, aussi éphémère qu’un #prayforRose.

C’est pourtant là que se situe le cœur de l’action. Nicky (Noah Jupe), l’enfant de la famille Lodge, se retrouve pris dans un étau entre son père absent (Matt Damon) et sa tante devenue mère de substitution (Julianne Moore, là encore) qui se soucient peu de lui. Le conte de fée macabre n’a pas fini de surprendre dans la tournure qu’il va adopter. Pourtant, Nicky, point d’ancrage de l’empathie du spectateur, est balloté par les événements sans avoir de réelle incidence sur ces derniers. Ses mésaventures s’enchaînent à un tel rythme que ça en devient surréaliste, et la compassion innée que l’on éprouve pour ce gamin vient lentement s’étioler. Son impuissance finit par sonner faux et suit simplement les rails d’une narration linéaire et illustrative.

Et c’est là que le bât blesse : une association comme Clooney et les frères Coen a tout pour attiser notre curiosité, faire monter nos attentes… On s’attend à notre quota de folie douce, de comédie absurde et d’imbroglios loufoques… Bien que ces derniers soient présents, ils n’interviennent que par petites touches succinctes, à la limite de l’autocitation. La filiation à Fargo ou Burn After Reading ne fait aucun doute, mais elle est atténuée dans un style plutôt timide. Il faudra attendre l’intervention d’Oscar Isaac (dans un rôle d’abord destiné à Clooney) pour remuer doucement cette mélasse au repos, nous amenant inéluctablement vers l’explosion finale et ses aspérités Tarantiniennes.

Loin d’être décevant pour autant, Bienvenue à Suburbicon couvre avec subtilité un large spectre de thèmes, sans se perdre dans leurs méandres. Peut-être est-ce là le problème du film : un équilibre chancelant entre la multiplicité des sujets abordés et l’intimisme décalé des événements. La dénonciation par l’absurde sonne faux sur une grande partie de l’œuvre.

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