A Beautiful Day : Hotline Miami 3

Un vétéran à la réinsertion difficile, une jeune fille en détresse, un mental à l’équilibre fragile, un désir de revanche… On aurait vite fait, avec ces quelques ingrédients, de rapprocher A Beautiful Day de Taxi Driver. Mais cela aurait autant de sens que de le rapprocher d’un Leon ou d’un Man on Fire. Au-delà de ces quelques ressemblances superficielles, le film de Lynne Ramsay emprunte sa propre voie, loin d’être une pâle copie du classique de Scorsese. Ne serait-ce que pour cette raison, le film fait du bien là où il fait mal. Que nous réserve-t-il alors, s’il ne prend pas les chemins de traverse classiques du film de vengeance ou de justicier ?

Joe, notre héros mercenaire, a tout du badass de prime abord : rustre taciturne, brutal, professionnel… mais malgré tous ces points forts, il doit aussi composer avec ses traumas passés et son instabilité mentale. Il est avant tout un homme brisé qui, loin de vouloir recoller les morceaux, endure la fatalité de son état qui déborde sur la mise en scène. On comprend, au fur et à mesure de l’œuvre, que l’on va avant tout s’intéresser à l’homme, plus qu’aux événements. Cadre intimiste entre deux basses besognes, on s’attarde sur le quotidien difficile mais routinier de Joe. Mis à nu (parfois littéralement nous laissant admirer une bedaine bien loin des héros d’actionner classique), il s’occupe péniblement de sa mère et des tracas d’une vie ingrate pour un revenant du champ de bataille. Joe avance sans réel but, donnant son sens au titre original : You Were Never Really Here, ses missions font office de palliatifs éphémères, cercle vicieux qui se répète inlassablement. Lynne Ramsay profite de ces scènes pour installer une ambiance unique qui trouvera sa continuité dans les scènes « d’action ».

Les nombreux inserts sur les personnages, Joe en particulier, laissent notre regard s’arrêter sur la rugosité des surfaces, la lumière froide vient les épouser, parfois les saturer, l’ambiance sonore nous bourdonne dans les tympans, autant d’ingrédients qui font de A Beautiful Day une véritable expérience sensitive. Celle-ci complète la fable illustrative qui nous invite à découvrir la psyché de Joe. Narration éclatée entre le passé et le présent, montage nerveux qui favorise les ellipses très courtes, silence des cris, valorisation du hors champ pour les scènes de violences, sont autant de procédés qui convoquent la participation du spectateur aux faits et gestes de cette masse bourrue. Le patchwork présenté nous oblige à nous faire notre propre image, de Joe, des événements, de leur réalité, nous pousse à l’interprétation. Ce n’est pas le jeu sans faille de Joaquin Phoenix qui ira à contre-courant de cette idée. Habitué à jouer des personnages opaques – comme en témoignent ses collaborations avec Paul Thomas Anderson (The Master, Inherent Vice) – il ne laisse entrevoir ses sentiments qu’avec beaucoup de retenue, dessinant une frontière trouble entre le réel et le fantasmé. Les scènes d’accalmies, de par leur portée poétique, placent une distance empathique entre les personnages et le spectateur ; l’iconisation, quant à elle, est réussie mais on sent plus qu’on ne ressent. Ce qui n’empêche en rien A Beautiful Day de coller à la peau de son public, de lui rester en tête comme ses bruits lancinants.

Fragmenté, dissonant, suffocant, on a vite fait de se perdre dans ce dédale qui semble aller, en apparence, en ligne droite. Le film de genre est ici un socle pour Lynne Ramsay qui s’en joue avec ses ruptures de ton et ses situations inattendues. Elle y appose son style singulier (difficile de ne pas voir des points communs formels avec We Need to Talk About Kevin), qu’on pourrait presque rapprocher d’un thriller coréen fantasque. Sortant des sentiers battus, le film tire son unicité des velléités d’auteur qui s’en dégagent, c’est avant tout une véritable proposition de mise en scène et de montage. Un voyage introspectif bouillonnant, dont les errances sensorielles forment le cœur de cette vision. 

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*