Taxi Sofia : Voyage au bout de la nuit.

En route pour la Bulgarie, pays froid et tendu, que Stephan Komandarev nous présente à bord de 5 taxis avec 5 chauffeurs différents. Ces taxis vont être la place idéale pour examiner le pays, membre de l’Union européenne, qui peine encore 30 ans après la chute de l’URSS à se remettre du communisme. Par la description du pays depuis les fenêtres des voitures et des discours des chauffeurs et des clients, le réalisateur démontre que rien ne change. Pire : le peuple a déserté un pays en roue libre, dirigé par des instances banquières mafieuses. Le film débute sur un fait divers ayant vraiment eu lieu. Le chef d’une petite entreprise a le couteau sous la gorge pour rembourser un prêt. Il est sur le point d’être saisi de ces biens. Un dernier rendez-vous avec son banquier doit arranger cela. Mais ce banquier demande le double de la somme initiale. Il menace cet entrepreneur qui est obligé de faire le taxi la nuit pour faire vivre sa famille. L’homme est acculé devant ce brigand profitant de sa faiblesse pour s’enrichir. L’homme pète les plombs et l’abat avant de se donner la mort.

Ce fait introductif agit comme une onde de choc sur tout le film. Stephan Komandarev a bien pris soin de distiller une certaine émotion en collant sa caméra sur cet homme en détresse souhaitant réhabiliter son entreprise et sa vie. À l’image des quatre autres portraits, c’est en plan-séquence qu’il suit Misho emmenant sa fille à l’école avant son rendez-vous. Entre-temps, le réalisateur en rajoute une couche. Il souhaite bien nous faire comprendre qu’il ne lâchera rien. Taxi Sofia est bien un film tendu. En repartant de l’école, Misho prend gentiment une jeune fille de 17 ans pour une course dans un hôtel. Elle stipule devoir allez voir sa grand-mère malade. Mais elle avoue ensuite se prostituer avec de vieux riches clients pour vivre. Elle n’a pas le choix, mais cela ne l’a dérange pas. Le film décrit une Bulgarie statique. Rien n’a changé et rien ne changera. Le réalisateur a tout de même des bribes d’espoir, notamment ce dernier plan dans la neige. Mais pendant 1h43, il nous montre la réalité de son pays, son authenticité.

Une femme, un bon samaritain, un veuf pleurant la mort de son fils ou encore un prêtre. À Sofia, il y a trois prêtres en activité. Les trois sont taxi la nuit pour survivre. Être taxi en Bulgarie, c’est le seul réel moyen de survivre. Stephan Komandarev a eu l’idée du film dans un taxi. Puis il a passé des mois à prendre des notes, se documenter et discuter auprès des chauffeurs. Taxi Sofia est presque comme un docu-fiction. Il fait acte d’un cinéma authentique en place pour dénoncer la difficulté d’un pays à se résoudre d’évoluer. Il est embourbé dans la pauvreté, la corruption au sein des grandes instances. Rien ne change et Taxi Sofia en est une nouvelle fois la preuve. 

Le meurtre du banquier agit comme un uppercut tout le long du film. Chaque personnage en parle, écoute les dernières actualités pendant les différents trajets avec les clients. Des clients spéciaux entre des étudiants bourrés totalement déconnectés du monde ambiant, un mari volage et sa conquête du soir ou encore une apprentie actrice. Chaque chauffeur à une histoire à raconter, une connexion quelconque avec Misho. Chaque personnage est ébranlé par un passé douloureux ou une perte récente. Cette nuit où nous les suivons déambulés dans les veines de cette ville froide qu’est Sofia, ils vont résoudre ce vide, ce trouble ou apprendre de leurs erreurs. Des rencontres décisives, abstraites, dures, de celles remettant vos croyances en doute, une certaine perspective dans cette réalité quotidienne brutale. On pense au segment du prêtre, celle du bon samaritain un brin charmeur sur le pont avec le suicidaire. Mais le segment qui aura le plus d’effet sera celui avec la chauffeuse de taxi prenant son dernier client à l’aéroport. La preuve que la vie fait son œuvre, le destin agit comme un acte de rédemption en soit. La confrontation d’une femme envers la vie, ses tourments et la confrontation envers une violence subie. Ce moment où tout semble déraper pour finalement avoir l’intelligence de faire payer le prix juste et de passer pour mieux avancer dans ce qui lui reste de vie.

Taxi Sofia est un film sur la dureté. La dureté de la vie, du quotidien, celui d’un pays qui draine son peuple à survivre. Ce peuple qui n’a pas fui, un pays d’optimiste, car comme un personnage le stipule, les faibles et les pessimistes sont partis. Il ne reste plus que les optimistes emplis d’espoirs que les choses changent un jour. Le dernier plan est là pour le prouver. Stephan Komandarev, en dépit de toute la noirceur de son film, est un optimiste. Il vit en Bulgarie, sa famille y vit et ses enfants y vont à l’école. Ile ne partira pas. Mais il dénoncera les choses via le cinéma, il disséquera les moindres faiblesses de son pays de cœur, lui ancien médecin/chirurgien repenti dans l’art du cinéma.

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