Blade Runner 2049 : rêve-t-on encore de moutons électriques ?

Il y a des films comme ça que personne n’attendait vraiment mais qui débarquent un jour sans prévenir. Auréolé d’un statut culte, érigé comme l’un des meilleurs films de science-fiction de tous les temps, le Blade Runner de Ridley Scott était bien tranquille dans son coin avant qu’il ne soit question d’en faire une suite. Longtemps envisagée, jamais développée, elle a fini par pointer le bout de son nez quand Ridley Scott a rejoint le projet. S’il fut un temps question qu’il réalise le film, Scott semble avoir préféré de s’occuper sur la saga Alien (à laquelle il envisage encore plusieurs suites après Covenant) et laisse à Denis Villeneuve le soin de s’atteler à cette tâche ardue. Car s’il est difficile de contenter le public avec une suite attendue, il est tout aussi difficile de lui faire plaisir avec une suite que personne n’attendait vraiment et on entend encore d’ici des gens crier au scandale.

Pourtant, force est de reconnaître qu’au rayon des suites inattendues, Blade Runner 2049 s’impose avec une qualité indéniable. Les signes ne trompaient d’ailleurs pas : Hampton Fancher, scénariste du premier film, a livré les premières versions du scénario avant que Michael Green (scénariste de Logan) ne livre la version finale, Harrison Ford était confirmé au casting (même si au passage, sa présence infirme la théorie la plus populaire sur Blade Runner disant que son personnage est un réplicant) et le choix de Denis Villeneuve à la réalisation a quelque chose d’évident, notamment après la vision de Premier Contact. Villeneuve, sacré réalisateur qui n’a jamais eu peur des défis (il va désormais s’attaquer à Dune) livre donc avec Blade Runner 2049 la suite que personne ne voulait mais que tout le monde meurt désormais d’envie de voir.

La surprise est d’ailleurs de taille. Blade Runner 2049 constituant un véritable prolongement au premier film, étoffant sa mythologie et son univers. Désormais, la Tyrell Corporation a fermé ses portes. Après des réplicants à durée de vie limité, ils avaient fabriqué des réplicants avec une durée de vie similaire à celle d’un homme. Ceux-ci, doués de libre arbitre, sont encore traqués et exterminés par les Blade Runner tandis que le riche entrepreneur Wallace a mis au point des réplicants complètement obéissants. Officier du LAPD et blade runner, l’officier K se retrouve rapidement sur une affaire complexe qui le mène sur les traces de Rick Deckard, disparu depuis trente ans…

Le scénario, habile, distribue rapidement toutes les cartes pour mieux les brouiller après. L’intrigue est d’ailleurs si bien travaillée et si originale qu’elle fait corps avec l’univers du premier film, prolongeant ses thématiques. L’être humain, ses émotions, ses souvenirs et son âme sont au cœur de Blade Runner 2049. Qu’est-ce qui fait de nous des humains ? Qu’est-ce qui, au fond, nous différencie des réplicants, capables tout autant que nous de ressentir des émotions ? Développée tout au long du film, la relation entre K et Joi, sa petite amie hologramme (Ana de Armas, repérée dans Knock Knock), est un des pivots de l’histoire, sur une thématique semblable au Her de Spike Jonze. Cette histoire d’amour (?), brillamment illustrée, n’est cependant pas le cœur du récit, quête d’une vérité profondément enfouie, faisant brillamment le lien avec Blade Runner.

Denis Villeneuve, amusé, le disait lui-même, on l’a payé pour faire le film d’auteur le plus cher de l’histoire du cinéma. Il est vrai qu’à la vision de Blade Runner 2049, on ne peut que rester admiratifs devant le refus du film de céder face aux conventions hollywoodiennes. On trouve bien dans le film une ou deux explosions et quelques brefs moments d’action mais le cœur du récit se trouve ailleurs. Villeneuve, aidé par la magnifique photographie de Roger Deakins, livre un film parfois contemplatif, au rythme lent. Blade Runner 2049 prend son temps, livre ses mystères au fur et à mesure, laisse la langueur et la mélancolie s’installer. A cet égard, la première partie du film est une véritable réussite. On se concentre sur K (Ryan Gosling dans un rôle passionnant), son (en)quête, sa recherche dans ses propres souvenirs pour trouver la vérité et Deckard.

Là où Blade Runner 2049, avec ses décors isolés, pluvieux, orangés, bleutés, dorés, frôle le grand film dans toute sa première partie, le dernier tiers vient cependant briser cet élan. En effet, en s’installant dans la longueur et en donnant quelques réponses trop attendues ainsi que plusieurs frustrations, le film devient bancal et perd de la fascination qu’il exerçait jusqu’à présent. En dépit de ses merveilleuses idées (K face une publicité qui lui renvoie sa propre relation avec Joi, le refuge perdu de Deckard), le scénario finit par tituber, comme s’il ne savait pas vraiment comment conclure, utilisant le personnage de Deckard sans vraiment lui donner grand-chose à faire. La fin, reprenant des idées et la musique du film de 1982, se prend les pieds dans le tapis et arrive soit trop tôt, soit trop tard. Aussi sublime soit-il, il faut bien reconnaître au film qu’il lui manque une âme, une fièvre, une certaine poésie même, que l’œuvre de Ridley Scott avait.

En soi, cela n’a rien de surprenant, l’entreprise Blade Runner 2049 était vouée à décevoir d’une manière ou d’une autre. Ce qui étonne le plus au final, c’est que le film soit autant réussi. Car Denis Villeneuve, s’il passe à un cheveu de faire un grand film, réalise là l’une des suites les plus intelligentes qu’on ait vu depuis des années. Un prolongement d’un univers passionnant où le sérieux des thématiques abordées vient noyer l’aspect commercial de l’ensemble. Une œuvre complexe interrogeant notre nature et qui soulève la réflexion au-delà de la vision, loin de l’ambition pop-corn gangrenant le cinéma hollywoodien de ces dernières années. Un film ambitieux à l’argument marketing qui ne devrait pas se mettre en travers du chemin de sa vision, pas forcément nécessaire mais néanmoins fortement recommandée tant le film transcende son simple statut de suite pour aller vers quelque chose de plus profond.