Deux hommes en fuite : la nature sans issue

Carlotta, distributeur irrémédiablement décidé à gâter les cinéphiles français, a ressorti en salles depuis mercredi dernier une petite pépite, longtemps invisible et méconnue : Deux hommes en fuite, réalisé par Joseph Losey. Un film tout à fait à part dans la filmographie du cinéaste, plutôt habitué à un registre plus renfermé et certainement pas aussi épuré.

En effet, Deux hommes en fuite (dont le titre original Figures in a Landscape est plus approprié) frise l’abstraction. Dans un paysage à la fois désertique et montagneux, deux hommes courent, les mains attachées dans le dos, poursuivis par un hélicoptère. Leur but ? Ne pas se faire attraper, survivre et s’enfuir. Mais s’enfuir où et pour faire quoi ? Le film ne répond pas à ces questions. D’ailleurs le film laisse carrément plusieurs questions de côté, commençant in medias res en nous donnant le minimum d’indices. Nous ne savons pas qui sont ces personnages, ni pourquoi ils ont été faits prisonniers, ni comment ils se sont échappés. Pas plus d’indices sur le pays dans lequel se déroule l’action. Joseph Losey filme donc deux types qui fuient, préférant s’attarder sur l’absurdité de leur course, la beauté des paysages et la rudesse de leurs conditions plutôt que sur le pourquoi du comment.

Arrivé sur le projet en remplacement de Peter Medak, Joseph Losey préfère ignorer la violence de certaines scènes et aller vers quelque chose de beaucoup plus prenant, filant vers l’essentiel. Pas le temps de s’attarder sur les personnages (ceux-ci se dévoilent rarement et seulement par des dialogues triviaux) ni sur toutes les raisons qui les ont menés là. Seul compte l’instant présent et la façon dont ils vont s’en sortir. D’où l’étrange sensation qui se dégage du film et qui, loin d’être désagréable, ajoute du mystère à une œuvre qui semble ne jamais s’encombrer d’artifices.

Évidemment, la réussite du film doit autant à ses acteurs qu’à son réalisateur. Losey, étonnamment à l’aise partout, utilise énormément les décors naturels de la Sierra Nevada (où ils ont tourné) et les plans larges pour privilégier les paysages, renvoyant sans cesse les personnages à un état de plus en plus sauvage. Ceux-ci, isolés et seuls à être identifiés clairement à l’écran (on ne distingue jamais le visage des soldats les poursuivant) sont sans cesse renvoyés à leur condition de fuyards, qui semble seulement se résumer en une course interminable. Présents à l’écran pendant un peu plus d’1h40, Robert Shaw (d’ailleurs auteur du scénario d’après un roman de Barry England) et Malcolm McDowell (pas encore auréolé de son personnage dans Orange Mécanique) sont impeccables de charisme, chacun étant dans un registre différent avec une aisance étonnante vu le peu que l’on découvre sur leurs personnages.

A découvrir aujourd’hui, Deux hommes en fuite frappe par la force de sa mise en scène et par la puissance des décors naturels, s’imposant comme une œuvre étrange, à mi-chemin entre le film de genre et l’abstraction. Le résultat est terriblement prenant, nous faisant découvrir une autre facette du talent de Losey, cinéaste trop sous-estimé.

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