Soudain l’été dernier : dans la torpeur de la psychanalyse

Même quand l’été touche à sa fin, Carlotta continue de nous gâter histoire de nous faire oublier le mois d’août gris et brumeux qui s’est abattu sur nos vacances. En effet, depuis le 23 août dernier, l’éditeur a sorti dans une superbe copie restaurée 4K Soudain l’été dernier de Joseph L. Mankiewicz. L’occasion de redécouvrir sous un autre angle ce grand film psychanalytique, adaptation fiévreuse d’une pièce de Tennessee Williams.

Dramaturge de talent avec le vent en poupe dans les années 50, Tennessee Williams avait publié Soudain l’été dernier en 1958. Il n’aura pas fallu longtemps pour que Hollywood s’en empare puisque le film de Mankiewicz sort en 1959. Pour les besoins du long-métrage, Gore Vidal s’attelle au scénario, aidé bien sûr de Mankiewicz, afin de donner assez de substance au récit (la pièce ne faisait qu’un acte) pour nous plonger dans les tourments des personnages durant 1h54.

Soudain l’été dernier se déroule dans les années 30 et raconte l’histoire du docteur Cukrowicz, spécialiste en lobotomie qui reçoit une proposition de Violet Venable, riche femme décidée à lever des fonds pour l’hôpital dans lequel Cukrowicz travaille si celui-ci accepte de lobotomiser sa nièce Catherine. Catherine est internée depuis l’été dernier, alors qu’elle a assisté à la mort de Sebastian, le fils de Violet durant ses vacances en Europe. Un fils vénéré par Violet mais que Catherine dépeint dans des termes moins flatteurs, raison pour laquelle la riche Venable souhaiterait la faire lobotomiser. Cukrowicz comprend alors que la clé de la folie de Catherine se cacherait dans les causes de la mort de Sebastian, mystérieusement tues…

Sorte de whodunit psychanalytique (à la fin Cukrowicz réunit tous les protagonistes du récit pour laisser éclater la vérité), Soudain l’été dernier échappe à tous les pièges du théâtre filmé grâce au talent de Mankiewicz. Cinéaste intelligent et amoureux des dialogues (à l’exception de la scène d’ouverture montrant une lobotomie, le film est très bavard), Mankiewicz ne cesse de jouer avec les décors pour offrir un vrai film de mise en scène, ne se contentant pas de filmer les acteurs parler. Au contraire, il explore la folie et les rapports de force grâce à des décors savamment travaillés, du jardin de Sebastian à l’asile psychiatrique. Et le flash-back final, révélant les causes affreuses de la mort de Sebastian, est un grand moment de mise en scène où le cinéaste joue avec les surimpressions et le son. Même si Elia Kazan et John Huston ont brillamment adapté Tennessee Williams, c’est peut-être Mankiewicz qui le fait le mieux, s’approchant au plus près de ses personnages sans jamais négliger le fond ni la forme.

Si visuellement le film est splendide, il n’en cache pas moins de terribles vérités. Audacieuse, la pièce de Williams abordait tous les tabous : homosexualité, inceste, pédophilie et même cannibalisme. Mankiewicz, non content de broder une histoire où le passé impacte ses personnages, embrasse toutes ses thématiques et les illustre de façon brillante sans jamais nous laisser de doutes dessus. On pourrait d’ailleurs reprocher au film un certain manque de subtilité qui est cependant plus dû à l’adaptation de la pièce qu’à la mise en scène, les dialogues se montrant parfois incroyablement osés.

Évidemment, Mankiewicz ne s’est pas entouré de n’importe qui pour interpréter ces rôles difficiles. Pour des rôles tourmentés, il choisit des acteurs qui le sont tout autant. Il n’hésite pas à montrer Katharine Hepburn vieillissante (l’actrice détestera le film pour cela, allant jusqu’à cracher dans le bureau du producteur Sam Spiegel) et s’empare d’une Elizabeth Taylor endeuillée par la mort de son mari Mike Todd pour incarner la nièce internée de force, taisant d’atroces révélations. Une fois de plus, Taylor crève l’écran dans le rôle, se montrant d’une sensualité incroyable et d’un talent fou jusque dans son monologue final bouleversant. Face à elles, Montgomery Clift joue le docteur Cukrowicz avec une certaine raideur mais une infinie compréhension. L’acteur, engagé sous la pression d’Elizabeth Taylor, sortait de son accident de voiture qui l’avait défiguré et les traits de son visage sont changés à jamais, cruellement visibles dans le Blu-ray. Cela ajoute à l’étrangeté d’un film étouffant à l’ambiance pesante mais remarquable en tous points, véritable travail d’orfèvre de la part d’un réalisateur diablement intelligent.

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