Les Proies : Le loup dans la bergerie.

Les Proies est la troisième collaboration entre Don Siegel et Clint Eastwood, juste avant L’Inspecteur Harry et un an à peine après le western Sierra Torride. L’acteur star de l’époque, dont les années 70 vont être prolifiques, souhaite s’écarter du rôle enflammé et taiseux des westerns spaghettis enchainés avec Sergio Leone. Les Proies en est l’opportunité, un rôle compliqué, loin des conformités de l’époque surtout pour une telle star. Comme on s’en doute, le film sera un échec cuisant à sa sortie, presque oublié, avant d’être réhabilité il y a quelques années.

Basé sur le roman A Painted Devil de Thomas Cullinan, Les Proies se concentre sur la situation précaire du caporal John McBurney (Clint Eastwood) recueilli dans un pensionnat de jeunes filles après avoir été trouvé blessé. Il est l’ennemi, un nordiste, que les pensionnaires pensent envoyer à la potence après l’avoir remis sur pied. Le patriotisme avant tout, celui que ces jeunes filles doivent à leurs pères partis à la guerre. Mais Mr « McB » n’a que son charme pour le maintenir en vie, des histoires fabriquées créant une once de fascination chez ses jeunes filles naïves et calfeutrées dans ce domaine. Cette présence masculine vient bousculer leurs quotidiens, réveille leurs émois et bouscule le conformisme de l’institution. Le Caporal McBurney le comprend et va s’en servir à bon escient. 

On comprend dès le départ que l’homme a ses travers et est prêt à tout pour s’en sortir. Il profite de la jeune Amy pour se cacher, l’embrasse sur la bouche pour la faire taire dans la forêt quand elle le trouve blessé. Don Siegel nous met directement dans l’embarras avec ce soldat grossier se servant d’une jeune fille de 12 ans et osant la toucher dès les premières minutes du film. Mais sa survie est en jeu, et c’est ce jeu qui va instiller les travers de ce grand film presque (trop) méconnu.

Recueilli et enfermé dans la salle à musique pour se rétablir, le Caporal va être écarté du reste de la maison, tel un prisonnier. Dès son arrivée, il ne laisse pas de marbre la directrice et quelques autres jeunes filles. Il jouit de son appréciation et de son analyse des lieux. Il va vite comprendre qu’il est le loup au cœur de la bergerie. Peut-être va-t-il s’emporter et en faire trop  ?

Don Siegel ne fait jamais rien pour nous rendre le personnage sympathique. Ni les jeunes filles aussi. Il peint les portraits froids et primaires de sauvages répondant au plus simple appel de leurs instincts. Sous l’œil de Siegel, en dépit de la guerre se jouant au loin, ce pensionnat n’est que l’abri des plus viles bassesses que l’homme représente. Le jeu qu’entame McBurney avec les jeunes filles et la directrice pour se sortir de cette guerre dont il a peur, fait de lui un homme faible. Clint Eastwood, sous les guenilles de ce Caporal n’est plus le beau cowboy taiseux, mais un vilain roublard méchant, un personnage sombre, séducteur sous couvert de pédophilie qui va jouer au plus malin pour profiter des lieux et de ses joies.

Les Proies n’est en aucun point un film misogyne où Eastwood serait la victime de femmes frustrées. Don Siegel n’épargne jamais le rôle de la star, et ce qui lui arrive est finalement tout mérité. C’est pour cela que le réalisateur insiste bien sur le premier fait du Caporal quand la jeune Amy le trouve dans la forêt. Il ne cherche jamais à l’excuser, Siegel peint le portrait de tout soldat de l’époque, des êtres sauvages et primaires, traumatisés par un conflit féroce et acharné.

Alors ce pensionnat est le paradis, le refuge presque idéal où il peut être maitre de la situation. Mais à trop vouloir jouer avec le fruit défendu, il se pique méchamment. Le film bascule alors dans la paranoïa, l’enfer se retourne sur l’homme qui oppresse les maîtresses de maison. Après avoir voulu en profiter, il souhaite les contrôler, les mettre sous son joug. C’est tout naturel que les femmes se défendent, et Siegel met en place une nouvelle guerre, cette fois-ci entre les femmes et l’homme. Elles souhaitent garder leurs places, alors à eux de se jouer de lui en retournant la situation par leurs charmes. Le Caporal est pris à son propre jeu, en dépit de ses meilleures volontés. Siegel réalise un film sombre sous l’architecture gothique du sud des États-Unis. Les Proies n’est jamais l’homme face aux femmes ou les femmes face à l’homme, mais la réponse à différents sentiments et émotions primaires de la bête humaine. La femme et l’homme se répondant au cœur d’un monde désolé où la guerre fait rage. Don Siegel a le culot de nous montrer sous nos simples apparats, de ce qui se jouerait simplement dans ce genre de situation. Il peint la réalité que cela plaise ou non, de la plus sèche des façons. Sans opportunisme ni superficialité, il peint la réalité d’un homme faible apeuré et de femmes recluses et frustrées tombant sous le charme du premier venu, héros de guerre selon, l’homme de leurs vies, de leurs rêves. La naïveté et l’innocence de se croire en sécurité et aimer dans les deux cas de conscience.

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